AccueilFAQLe pull à col roulé, ce vêtement qui secoue la politique française

Le pull à col roulé, ce vêtement qui secoue la politique française

Macron

Dites-le avec un col roulé.

Les acteurs politiques sont constamment auscultés et disséqués. Le vestiaire a, longtemps, dit beaucoup du politique. Jusqu’à en faire un marketing. On se souvient de la parka rouge de Laurent Wauquiez en passant par la marinière d’Arnaud Montebourg jusqu’aux chemises de Manuel Valls, photographiée en une du Parisien Magazine.

Benoît Hamon a été l’un des premiers à renouveler son vestiaire politique avec ce pull à col roulé (d’ailleurs abandonné en tant que ministre puis retrouvé en tant que candidat).

Le politique a ainsi souvent utilisé son vestiaire pour dire quelque chose de lui-même. Il fut d’ailleurs un temps où l’habit faisait le politique. On ne s’habillait pas par hasard en costume cravate. On ne portait pas par hasard un col mao.

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Chaque élément du costume, chaque accessoire étaient choisis avec minutie pour véhiculer un message social, une hiérarchie politique revendiquée, … Aujourd’hui, l’exigence d’exemplarité politique a pris le pas sur les styles.

Les codes vestimentaires traditionnels ont semblé exploser au nom de l’incarnation d’une exemplarité politique. Influencés notamment par l’air du temps. La communication politique est un art difficile, qui achoppe sur une foule de malentendus dont l’apparence. Et on peut le déplorer. On a ainsi trop souvent vu les femmes politiques réduites à leurs tenues colorées.

L’importance du col roulé en communication politique

Le col roulé, simple pièce vestimentaire, s’est hissé au rang d’outil de communication politique puissant. Des penseurs existentialistes d’hier aux leaders d’aujourd’hui, ce pull à col montant a servi de marqueur d’attitude et d’image. Comment un vêtement utilitaire est-il devenu un symbole de posture politique ? Nous vous proposons une plongée dans l’histoire du col roulé, ses connotations, et son appropriation stratégique par des figures politiques et intellectuelles majeures. Il décrypte pourquoi le col roulé n’est pas un choix anodin mais bien un vecteur de message à part entière.

L’histoire du col roulé et ses premières connotations

Des bateaux de pêche à la haute société. Apparu à la fin du XIXe siècle, le col roulé est d’abord un vêtement populaire et fonctionnel. Les marins, pêcheurs et ouvriers l’adoptent pour son côté pratique qui procure chaleur et protection​. Dans les décennies qui suivent, il intègre aussi les tenues de sport (polo, golf, hockey) pour sa praticité. Ce n’est qu’au début du XXe siècle qu’il fait son entrée dans la mode grand public, y compris féminine, notamment via le look des Gibson Girls dans les années 1900 et les tenues de sport des femmes​. Vers les années 1920, certains dandys et artistes commencent à le porter dans la haute société, détournant ce vêtement de travail vers un style plus sophistiqué.

Distinction et… virilité. À partir des années 1920, le col roulé gagne en prestige chez les hommes en quête de distinction et d’un certain statut social​. Le dramaturge britannique Noël Coward lance la mode en en faisant sa signature – officiellement pour le confort, officieusement pour l’effet. Une chronique mondaine de 1932 va jusqu’à affirmer que « le col roulé était considéré comme un symbole de virilité. Plus large était le cou qu’il enserrait, plus grande était la virilité qu’on lui supposait »​. Des icônes hollywoodiennes comme Clark Gable, au cou athlétique, en feront un pilier de leur garde-robe, renforçant cette association à la force masculine​. Parallèlement, des femmes d’influence l’adoptent aussi: l’actrice Marlene Dietrich le porte de façon androgyne, et plus tard la First Lady Jackie Kennedy l’intègre à ses tenues chic, preuve que le col roulé s’impose peu à peu comme un basique élégant autant que pratique.

Le pull des intellectuels et des rebelles. À partir des années 1950, le col roulé prend une tournure subversive. Il devient un emblème pour qui veut s’affranchir du costume-cravate rigide de l’establishment. Unisexe et polyvalent, il est adopté dans les milieux artistiques et intellectuels. C’est la tenue fétiche des existentalistes de Saint-Germain-des-Prés après-guerre, incarnée par Juliette Gréco en France​. Puis, dans les années 1960, la Beat Generation aux États-Unis s’approprie le col roulé noir comme uniforme existentialiste, bientôt suivi par les mouvements contestataires: les Beatles et Andy Warhol le popularisent dans la culture pop, les Black Panthers l’intègrent à leur uniforme militant (avec le béret et le poing levé) et les étudiants révoltés de Mai 68 – tel Daniel Cohn-Bendit en tête de cortèges – ne le quittent plus​. Le col roulé symbolise alors la rébellion intellectuelle. Des penseurs comme le philosophe Michel Foucault en font un atout de leur image : Foucault le portait moulant et blanc sous un perfecto en cuir noir, combinant rigueur cérébrale et provocation stylistique​. Autrement dit, le col roulé, jadis vêtement humble, est devenu le vêtement des esprits libres et des outsiders.

Après une éclipse dans les années 1980 (retour du trois-pièces oblige), il revient en force dans les années 2000 dans la mode occidentale​. Aujourd’hui, il oscille entre son statut de basique bon chic bon genre et d’accessoire de statement selon qui le porte. Cette riche histoire explique pourquoi le col roulé véhicule autant de sens dans l’imaginaire collectif.

Pourquoi le col roulé en politique ?

En communication politique, l’habit fait (aussi) le moine analyse Florian Silnicki, Expert en communication qui dirige l’agence LaFrenchCom. Choisir le col roulé plutôt que la chemise-cravate traditionnelle, c’est envoyer des signaux subtils mais puissants. Quelles connotations ce choix vestimentaire apporte-t-il sur la scène politique ?

  • Rigueur et contrôle de soi : Un col roulé couvrant bien le cou donne une impression de retenue et de sérieux. Il cache littéralement une partie du corps qui trahit souvent les émotions (le cou, la gorge) et focalise l’attention sur le visage. « Le cou révèle tout… L’emmitoufler dans un col roulé lui permet de ne plus rien dévoiler… Il offre de la personnalité sans la révéler tout à fait​. » En dissimulant les signes de nervosité ou même les marqueurs d’âge, le col roulé confère à l’orateur une aura de sang-froid et de discipline. Sa coupe sobre, sans accessoires superflus, renvoie à une image de simplicité austère – une forme de rigueur tranquille, rassurante pour l’électorat.

  • Modernité et dynamisme : Porter un col roulé quand on est un homme politique aujourd’hui, c’est se placer dans la modernité, voire dans l’innovation. Ce vêtement est associé à l’univers des start-ups, de la tech, de la créativité – bien loin de l’élite politique traditionnelle engoncée dans ses costumes sombres. Sur les affiches de campagne récentes, on voit d’ailleurs émerger cette tendance : “Ce choix vestimentaire est importé du milieu entrepreneurial réputé dynamique, créatif, connecté… Enfiler un col roulé sur l’affiche de campagne, c’est […] donner à lire des aptitudes entrepreneuriales […] transférables au sein de la municipalité”​. Le message est clair : le candidat en col roulé se présente comme un manager moderne, un homme d’action tourné vers l’avenir, plutôt qu’un politicien de carrière. Le col roulé suggère une personnalité “dynamique et connectée” – celle qui « pense en dehors de la boîte » comme le souligne Vanity Fair en référence aux pionniers de la Silicon Valley​.

  • Rébellion maîtrisée : Le col roulé incarne une rupture avec le conformisme tout en restant dans une forme de contrôle. Il atteint ce sweet spot vestimentaire entre la tenue formelle et le décontracté. Comme l’explique une analyse stylistique, « l’attrait du col roulé repose en grande partie sur ce qu’il n’est pas : il donne à la combinaison classique chemise-cravate un air de pingrerie et au T-shirt un air informe et baveux, atteignant ainsi le point idéal […] entre formalité et insouciance. Il est suffisamment élégant pour être porté sous une veste de costume, mais suffisamment décontracté et confortable pour être porté tous les jours »​. Autrement dit, un responsable politique en col roulé rompt avec le dress code guindé, sans sombrer dans la désinvolture totale. C’est une rébellion vestimentaire, mais mesurée et contrôlée – un entre-deux qui dit “je suis un outsider, mais je reste sérieux”. Cette posture de “rebelle sage” peut séduire un électorat en quête de renouvellement sans vouloir de chaos.

  • Rupture avec l’élite « costume-cravate » : Enfin, et c’est sans doute le signal le plus fort, le col roulé permet de se distinguer de l’élite traditionnelle. Pendant des décennies, le costume-cravate a incarné l’homme politique professionnel, l’élite technocratique ou financière. En choisissant un col roulé, un leader indique qu’il ne se conforme pas à ce moule. « Le col roulé dit de vous que vous n’êtes ni un banquier, ni un financier, ni un avocat, ni un homme de bureau. […] Vous vous montrez comme un homme libre de s’habiller comme il l’entend »​, analyse Vanity Fair. La symbolique est puissante : c’est l’anti-uniforme de l’establishment. Pas de cravate = pas de comptes à rendre aux vieux codes. On se souvient qu’à la fin des années 60, le col roulé était déjà un signe de ralliement contre l’ordre établi (étudiants, militants, etc.). En politique contemporaine, il signale une volonté de rupture avec “l’ancien monde” – que ce soit sincère ou calculé.

En somme, le col roulé en politique véhicule rigueur, modernité, esprit frondeur et indépendance vis-à-vis des élites. C’est tout cela à la fois qui en fait un atout de communication redoutable, à manier toutefois avec cohérence selon le message qu’on veut porter.

Les figures politiques qui ont marqué l’histoire en col roulé

Plusieurs leaders et personnalités ont utilisé le col roulé comme élément-clef de leur image publique. Leur exemple illustre comment un vêtement peut devenir synonyme d’une posture politique ou d’un personal branding influent.

Steve Jobs – modernité et autorité sans ostentation

Bien qu’il ne soit pas un homme politique, Steve Jobs, le légendaire cofondateur d’Apple, est un cas d’école en matière de communication par l’habit. Son sempiternel col roulé noir est entré dans la culture populaire comme symbole de modernité visionnaire. Jobs a redonné au col roulé « toute sa puissance » en le portant comme un uniforme, afin de rester simple et sans prétention​ au quotidien. D’après Le Monde, Steve Jobs a même fait du col roulé « la pièce maîtresse » de son soft power personnel.

Vêtu chaque jour de son col roulé noir Issey Miyake associé à un jean, il imposait un style minimaliste devenu instantanément reconnaissable – un vêtement quasi banal transcendé en étendard d’autorité. Ce choix calculé de tenue unique visait à créer un personnage public cohérent, tout en éliminant les distractions vestimentaires. Jobs lui-même confiait l’avoir adopté pour son confort, sa praticité et pour construire le personnage que le monde connaît​. Le résultat ? Une image de leader charismatique qui n’avait pas besoin de costume pour imposer le respect. Ses cols roulés noirs projetaient « un intellect froid et un manque d’élégance général », suggérant qu’il était un homme d’affaires différent, un « visionnaire » qui ne respectait pas les règles du conseil d’administration​. En ne s’habillant pas comme les PDG traditionnels, Steve Jobs a incarné l’idée qu’on peut exercer une autorité maximale tout en restant anti-ostentatoire. Cette autorité sans cravate a d’ailleurs inspiré d’autres figures – à commencer par nombre d’entrepreneurs de la tech, mais aussi des responsables publics en quête de modernité. (À noter, en contrepoint, l’exemple d’Elizabeth Holmes, fondatrice déchue de Theranos, qui copia sciemment le col roulé noir de Jobs comme signe d’ambition visionnaire, avec le revers de la médaille qu’on connaît​.) L’héritage de Steve Jobs prouve qu’un col roulé peut devenir aussi iconique qu’un logotype, et conférer à celui qui le porte une identité visuelle forte synonyme de modernité audacieuse.

Elizabeth Holmes

Vladimir Poutine – virilité et simplicité assumées

Le président russe Vladimir Poutine est davantage connu pour ses mises en scène martiales (torse nu à cheval, judogi, etc.) que pour le port du col roulé. Pourtant, lui aussi a su utiliser ce vêtement dans sa communication, envoyant des messages de force tranquille. Poutine cultive de longue date une image de “mâle alpha” sobre, un homme d’action qui dédaigne les apparats luxueux. À ce titre, apparaître en col roulé – plutôt qu’en cravate ou uniforme – renforce son personnage de leader viril, direct et sans chichis.

Historiquement, rappelons-le, le col roulé fut même perçu comme un signe de virilité physique : « Plus large était le cou qu’il enserrait, plus grande était la virilité qu’on lui supposait »​. Dans le cas de Poutine, ancien judoka au cou robuste, le pull à col montant souligne justement sa carrure tout en restant d’une grande simplicité. Il n’est pas anodin qu’on voie parfois Poutine revêtir un col roulé noir sous une veste lors d’événements publics informels. En 2009, alors Premier ministre, il monte sur scène dans un col roulé sombre et veste pour honorer un concours de rap à Moscou – une tenue décontractée qui visait à le rendre plus accessible aux jeunes tout en maintenant son aura de respect​. Le message vestimentaire : “je suis à l’aise parmi vous, je n’ai pas besoin de costume pour qu’on me respecte”.

Le col roulé participe chez lui d’une stratégie de simplification de l’image : un homme “à la coule”, confiant en sa puissance au point de se passer des symboles de statut habituels. On peut y voir un parallèle avec les héros de films d’espionnage qu’affectionne la culture russe. James Bond, par exemple, a parfois troqué son smoking pour un col roulé noir moulant, avec un holster d’épaule – un look « moderne, décontracté, sexy, chic à souhait » qui dégage une impression de danger maîtrisé​. Poutine emprunte à sa manière cette imagerie de l’agent secret sobre et efficace. Virilité et simplicité : le col roulé vient signifier qu’il est un homme d’action pragmatique, prêt à passer aux choses sérieuses sans cérémonial. Dans un monde politique où beaucoup se présentent tirés à quatre épingles, Poutine use donc occasionnellement du col roulé pour montrer qu’il se place au-delà des codes – qu’il est un leader terre-à-terre (du moins en apparence), aligné avec l’homme ordinaire russe bien plus qu’avec l’élite occidentale guindée.

Emmanuel Macron – rupture avec les codes politiques classiques

Lorsque le président français Emmanuel Macron est apparu publiquement en col roulé noir sous sa veste, l’effet a été immédiat. En décembre 2019, lors d’une allocution aux côtés du président du Conseil européen, il délaisse la traditionnelle chemise-cravate présidentielle pour un pull à col remonté. Ce détail vestimentaire rarissime à ce niveau de fonction a suscité de nombreux commentaires, preuve de son intentionnalité. Macron cherchait par là à casser son image de banquier technocrate et à se rapprocher d’une posture intellectuelle et moderne. D’après Vanity Fair, la démarche est claire : Emmanuel Macron « s’habille ainsi pour se donner une allure plus intellectuelle, plus de gauche aussi »​. En enfilant ce col roulé, il convoque symboliquement l’ombre de figures intellectuelles (le magazine cite Michel Foucault, souvent aperçu en col roulé), et s’éloigne des attributs de l’homme d’affaires. Le message : nouveau style, nouvelle vision.

Macron comprenait l’impact de ce signe visuel dans l’imaginaire français. Sous la Cinquième République, aucun président ne s’était affiché de la sorte – tous respectaient l’uniforme implicite du pouvoir (costume sombre, cravate sobre). Lui ose la rupture vestimentaire pour signifier la rupture politique. Un col roulé pour un président, c’est dire qu’on n’est « ni un banquier, ni un avocat, ni un homme de bureau » mais « un homme libre » quant à son apparence​. Cette liberté qu’il s’octroie vise à le rapprocher de la société civile et des esprits innovants (ce n’est pas un hasard s’il est souvent comparé à un entrepreneur/startuppeur en politique). Macron s’aligne ainsi – consciemment – sur l’habit des “électrons libres” de notre époque, à l’image d’un Steve Jobs dans un autre registre​.

L’effet recherché est double : modernité (jeune président décontracté, en phase avec son temps) et crédibilité intellectuelle (il privilégie le col roulé “professoral” au détriment de la cravate “politicienne”). D’aucuns y verront aussi une façon d’adoucir son image au cœur de périodes sociales tendues, le col roulé évoquant davantage l’écrivain ou le professeur que le technocrate froid. Quoi qu’il en soit, Emmanuel Macron a montré que la communication politique passe aussi par le dressing code : un simple pull peut envoyer un signal de renouveau symbolique. Dans son cas, le col roulé a marqué la volonté de rompre avec l’ancienne génération de dirigeants pour incarner une présidence 2.0, plus flexible sur les formes mais ferme sur le fond.

Bernie Sanders – engagement intellectuel et pragmatisme

Le sénateur américain Bernie Sanders s’est quant à lui illustré par un style vestimentaire à l’opposé des strass et paillettes. Figure de la gauche populiste aux États-Unis, Sanders privilégie depuis toujours une apparence de “monsieur tout-le-monde” – ce qui paradoxalement est devenu l’un de ses atouts de communication. S’il est plus souvent vu en simple veste froissée et chemise sans cravate qu’en col roulé, l’esprit reste le même : son habillement traduit son pragmatisme et son attachement aux idées plutôt qu’à l’image. Un Bernie Sanders tiré à quatre épingles en Armani semblerait presque incohérent avec son discours sur les inégalités… À l’inverse, son style décontracté, parfois franchement baba cool, renforce sa crédibilité d’homme du peuple et d’intellectuel intègre.

Un épisode emblématique a propulsé cette dimension visuelle sur le devant de la scène : l’investiture présidentielle de janvier 2021 à Washington. Tandis que la majorité des dignitaires arboraient tenues protocolaires et manteaux élégants, Bernie Sanders est apparu emmitouflé dans une doudoune d’hiver bien chaude, accompagné de moufles en laine artisanales. Ce contraste saisissant a fait le tour du monde sous forme de mèmes. Surtout, la tenue de Bernie, aussi modeste que confortable, a été perçue comme le reflet authentique de sa posture politique. “Tout, dans l’accoutrement et la posture de Bernie Sanders, témoigne de la résignation flegmatique et de la colère contenue que les citoyennes et citoyens […] éprouvent, face au lent naufrage de nos démocraties” analyse un commentateur, y lisant le symbole d’un ras-le-bol populaire​. En d’autres termes, Bernie Sanders a montré qu’une tenue anti-glamour pouvait incarner le message même de sa campagne : le sérieux, le ras-le-bol des apparences, l’attention aux choses concrètes (il faisait froid, après tout !).

Transposé au col roulé, cet esprit est similaire. On a pu voir Sanders en pull-over lors de réunions publiques dans le Vermont glacial, donnant presque l’image d’un professeur d’université passionné qui aurait oublié de mettre une cravate. Ce choix concorde avec son personnage de penseur pragmatique. Le col roulé (ou son équivalent pull simple) chez Bernie suggère l’engagement intellectuel – il privilégie le contenu du discours sur le contenant – et le pragmatisme – il s’habille pour être à l’aise et proche des gens, non pour parader. Sanders utilise donc, sciemment ou non, sa manière de se vêtir comme outil rhétorique : il se place visuellement aux antipodes de l’élite de Washington, renforçant ainsi son message anti-establishment. En somme, chez lui, l’habit ne fait pas le moine… et c’est précisément le message. Cette cohérence entre son style vestimentaire et son éthos politique a contribué à forger son image d’homme authentique et fiable, dont la parole ne s’encombre pas de fioritures – tout comme sa garde-robe.

Le col roulé comme stratégie vestimentaire moderne

À l’ère du personal branding et de la politique-spectacle, le col roulé s’est mué en véritable stratégie vestimentaire pour nombre de communicants politiques. Loin d’être un choix anodin, il s’inscrit dans une tendance de l’image simplifiée et maîtrisée.

D’abord, opter pour un col roulé permet à un responsable d’uniformiser son look de manière reconnaissable. Tout comme Steve Jobs en a fait son uniforme, certains politiques choisissent une tenue signature pour ancrer leur image dans l’esprit du public. Cette capsule wardrobe du pouvoir facilite la mémorisation (on associe spontanément la personne à son style) tout en évitant les faux-pas. Dans un environnement médiatique où chaque apparence est scrutée, simplifier la garde-robe réduit les risques et renforce la cohérence de l’image. Un col roulé un jour, un costume trois-pièces le lendemain puis un polo le surlendemain risqueraient de brouiller les cartes ; en revanche, une silhouette constante dégage un sentiment de stabilité et de fiabilité. C’est un moyen de contrôle de la narration visuelle.

Par ailleurs, le col roulé s’insère parfaitement dans la recherche actuelle d’authenticité affichée. Les citoyens se méfient des politiciens jugés trop lisses ou “déconnectés”. En réponse, beaucoup de dirigeants soignent une image plus casual pour paraître accessibles – on l’a vu avec la chemise retroussée devenue quasi obligatoire en meeting, ou plus récemment avec le président ukrainien Zelensky portant le T-shirt kaki plutôt que l’uniforme. Le col roulé s’inscrit dans ce mouvement : il véhicule une simplicité travaillée, une décontraction qui se veut synonyme de proximité avec le quotidien des gens. C’est presque un outil de storytelling : “Regardez, moi aussi je porte un pull comme vous, je suis un dirigeant normal et moderne.” Cette stratégie de normalisation par l’habit peut aider à atténuer l’aura “élite” attachée à la fonction politique.

Enfin, le succès du col roulé comme atout de communication tient à son adaptabilité aux grands enjeux contemporains. Par exemple, en 2022, en pleine crise énergétique, le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire a déclaré vouloir donner l’exemple en troquant le costume-cravate pour le col roulé afin de moins chauffer les bâtiments. « Vous ne me verrez plus avec une cravate, mais avec un col roulé. Et je pense que ce sera très bien, ça nous permettra de faire des économies d’énergie, de faire preuve de sobriété » a-t-il affirmé sur un média national​. L’initiative, bien que moquée par certains, a été saluée comme un « coup de com’ bien vu » par d’autres, démontrant la puissance symbolique du geste​. En enfilant un col roulé, Le Maire matérialisait de façon concrète un discours sur la sobriété énergétique – transformant le vêtement en slogan visuel. Ce cas illustre combien le col roulé est devenu un support de message à part entière : il peut signifier tour à tour la modernité numérique, l’austérité volontaire, la rupture politique ou la proximité citoyenne, selon le contexte et la narration construite autour.

En conclusion, le col roulé n’est pas un vêtement anodin en communication politique. De ses origines modestes, il a conservé la simplicité et la fonction pratique; de son histoire intellectuelle et rebelle, il a hérité une riche charge symbolique. Rigueur, créativité, rébellion contenue, accessibilité – il condense tout cela sur les épaules de celui ou celle qui le porte. Les exemples de Steve Jobs, Vladimir Poutine, Emmanuel Macron ou Bernie Sanders montrent que le col roulé peut tour à tour incarner la vision futuriste, la force tranquille, la rupture avec l’ancien monde ou l’authenticité pragmatique. Dans une époque où chaque détail est un message, cette pièce tricotée est devenue un code vestimentaire à part entière du langage politique.

Pour les étudiants en communication politique, retenir la leçon du col roulé, c’est comprendre qu’un vêtement peut parler. Un pull noir à col montant peut crier “innovation” ou “contestation” plus fort qu’un long discours. Il convient donc d’analyser avec attention ces choix stylistiques : ils font partie intégrante de la stratégie d’image. Le col roulé, en apparence anodin, s’est imposé comme un véritable outil de branding politique, modulable et efficace. La prochaine fois que vous verrez un leader en col roulé face aux caméras, posez-vous la question : que veut-il vraiment communiquer ? Vous découvrirez peut-être, derrière la maille, un message bien ficelé.