Comprendre le rôle de la communication de crise au sein du dispositif de gestion de crise

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Il est tôt ce matin lorsque Claire, responsable de la communication dans une entreprise industrielle, reçoit un appel : un problème majeur est survenu dans l’usine de l’entreprise. Le personnel de production a détecté un incident sur la chaîne, qui pourrait se transformer en crise si les choses s’aggravent ou si l’information venait à fuiter dans la presse. Rapidement, Claire est intégrée à la cellule de crise pour évaluer la situation et décider de la marche à suivre en matière de communication. Dans ce genre de moments, chaque action compte ; chaque absence d’action également. Pour l’entreprise, la question n’est plus de savoir s’il faut communiquer, mais comment et quand le faire, de façon coordonnée. La communication de crise se révèle ici un levier essentiel de la stratégie globale de gestion de crise.

Au sein de tout dispositif de gestion de crise, la communication n’est pas un accessoire insiste Florian Silnicki, Expert en communication de crise à la tête du collectif LaFrenchCom. Au contraire, elle joue des rôles multiples, et peut faire la différence entre une crise résolue avec un impact limité et un désastre durable sur le plan réputationnel et financier.

La communication de crise au cœur du dispositif global : position et interactions

Un pilier stratégique

Quand on imagine la gestion de crise, on pense souvent à la cellule opérationnelle qui prend des décisions urgentes : couper l’alimentation d’une usine en feu, rappeler un produit défectueux, déconnecter un serveur pirate, etc. On visualise aussi les sphères plus spécialisées (juridique, logistique, ressources humaines…). Mais on oublie parfois que toutes ces actions se jouent aussi sur le terrain médiatique et relationnel. Si l’organisation ne communique pas correctement sur les mesures prises, elle risque de subir un second choc médiatique ou d’opinion, parfois plus dommageable encore que la crise opérationnelle elle-même.

C’est là qu’intervient la communication de crise. Elle est partie intégrante du dispositif global de gestion de crise, souvent sous la forme d’une cellule ou d’un pôle “communication” intégré au Comité de crise. Les personnes chargées de la com’ vont travailler main dans la main avec le directeur de crise, l’équipe juridique, les opérationnels, pour connaître l’avancement des faits, obtenir les validations des messages, et harmoniser la parole de l’entreprise en interne comme en externe. En d’autres termes, la communication ne fonctionne pas en silo, mais en étroite coordination avec l’ensemble des acteurs impliqués.

Une coordination critique

La réactivité est cruciale. À la minute où la crise survient, les médias, les réseaux sociaux, les clients, voire les autorités ou partenaires, vont réclamer des informations. Une stratégie de communication mûrement réfléchie en amont va permettre de diffuser un discours cohérent. Par exemple, la personne en charge de la com’ doit pouvoir dire : « Nous allons publier un communiqué de presse à 9h pour informer du problème. Les équipes techniques nous indiquent qu’il n’y a pas de risque pour la santé, donc nous allons rassurer sur ce point. » Pendant ce temps, la direction juridique valide la formulation pour éviter de s’exposer à des risques légaux.

Ainsi, la communication s’interface avec la cellule opérationnelle pour s’assurer que les faits communiqués soient exacts et mettre à jour les messages au fil de l’évolution de la crise. Ce lien permanent permet aux communicants de prendre la parole au bon moment, avec la bonne tonalité et les bonnes informations. Et, réciproquement, la cellule opérationnelle gagne en légitimité quand elle sait que ses actions seront relayées clairement, ce qui rassure tout l’écosystème de l’entreprise.

Les rôles spécifiques de la communication selon les étapes de la crise

Les crises ne surgissent pas de nulle part : on parle souvent de différentes phases (pré-crise, crise, post-crise). Et à chaque étape, la communication joue un rôle particulier.

Avant la crise : la préparation et la prévention

Prévenir le risque réputationnel

Avant même l’éclosion d’une crise, la communication a pour mission de surveiller l’environnement de l’entreprise, notamment via une veille médias et réseaux sociaux. L’idée ? Détecter des signaux faibles, repérer d’éventuelles rumeurs naissantes, ou anticiper un scandale qui pourrait éclater. Dans un monde ultra-connecté, un tweet malheureux ou un avis négatif peut parfois se transformer en bad buzz majeur. Les communicants sont alors les yeux et les oreilles de l’entreprise, capables d’alerter en amont.

Préparer la cellule de crise

Par ailleurs, la communication se prépare à une éventuelle crise. Concrètement, elle contribue à la rédaction de plans de communication de crise, de scripts, de FAQ, de modèles de communiqués ou de prises de paroles vidéo. La com’ s’assure également que des porte-parole sont formés pour s’exprimer face aux médias sous pression. Pendant cette phase préventive, l’essentiel est de créer un climat de confiance à l’intérieur de l’entreprise : chacun sait qu’en cas de tempête, l’équipe communication saura prendre les devants.

Pendant la crise : gérer l’urgence et maîtriser la réputation

Informer et rassurer

Lorsque la crise éclate, la communication de crise s’attelle d’abord à informer les parties prenantes (médias, réseaux sociaux, clients, employés…). Il faut agir rapidement, avant que des rumeurs ne prennent le dessus. Communiquer vite ne signifie pas raconter n’importe quoi ; il faut s’appuyer sur des faits vérifiés. Mais s’il est trop tôt pour un diagnostic complet, la cellule de com’ peut au moins confirmer qu’un incident s’est produit, qu’il est pris en compte, et qu’une communication plus détaillée suivra. Cette première réaction, même sobre, est cruciale pour éviter le “vide informationnel”.

En parallèle, la communication doit rassurer en rappelant que l’entreprise a pris la mesure du problème et que des actions sont en cours pour le résoudre. Si la crise est liée à la sécurité (un accident, un défaut produit), un des rôles majeurs de la com’ va être de calmer les inquiétudes et d’expliquer les mesures de contrôle prises, quitte à reconnaître la gravité de la situation quand c’est nécessaire.

Protéger et maîtriser le récit

Un autre rôle est de protéger la réputation de l’entreprise. Cela ne veut pas dire dissimuler ou mentir, mais rendre visible l’ensemble des actions positives déployées sur le terrain. Sans communication, les observateurs externes pourraient juger que l’entreprise ne réagit pas. Pire encore, le récit médiatique serait façonné par des sources non officielles. Communiquer, c’est donc reprendre l’initiative : diffuser la version factuelle, faire état de l’implication des équipes, mettre en avant la transparence et la réactivité.

Dans cette phase, la communication doit également réguler les éventuelles déclarations d’autres collaborateurs ou dirigeants. En période de crise, une parole isolée peut faire beaucoup de dégâts si elle est en contradiction avec la ligne officielle. La cellule de com’ est alors le chef d’orchestre de la parole institutionnelle : elle centralise l’information, la valide, et diffuse les éléments de langage à tous les niveaux pour maintenir une cohérence globale.

Après la crise : restaurer la confiance et capitaliser sur l’expérience

Rétablir l’image et accompagner la reprise

Une fois le pic de la crise passé, le rôle de la communication de crise se prolonge. L’entreprise doit parfois mener une campagne de restauration d’image. Il s’agit de rappeler ce qui a été fait pour résoudre la crise, et de montrer comment on évitera que le problème ne se reproduise. La communication explique, par exemple, les nouvelles procédures de sécurité adoptées, ou les compensations accordées aux victimes.

À ce stade, la com’ peut aussi envoyer un signal de transparence et d’humilité, en reconnaissant des erreurs commises et en exposant les leçons apprises. Cela est souvent apprécié par les parties prenantes, et permet de reconstruire une relation de confiance mise à mal par la crise.

Capitaliser pour l’avenir

Après la crise, la communication joue un rôle clé dans le retour d’expérience interne. En effet, la cellule de gestion de crise va analyser ce qui a fonctionné ou non dans la gestion globale, et la com’ y apporte ses données : retours des journalistes, réactions sur les réseaux sociaux, sentiment des clients, etc. Toutes ces informations permettront d’améliorer le dispositif global pour les crises futures. Ainsi, la communication de crise ne s’arrête pas quand les médias ne parlent plus de l’affaire ; elle participe activement à renforcer la résilience de l’entreprise sur le long terme.

Les objectifs clés de la communication de crise

Parmi les multiples finalités de la communication de crise, on retrouve classiquement :

  1. Protéger la réputation de l’entreprise, en maintenant une cohérence dans la parole et en ne laissant pas les rumeurs s’installer.

  2. Informer toutes les parties prenantes (médias, clients, collaborateurs, partenaires, etc.) de l’évolution de la situation, pour qu’elles ne se sentent pas laissées de côté.

  3. Rassurer et démontrer le contrôle que l’entreprise exerce sur la situation (même si la crise est complexe, montrer qu’on fait face et qu’on agit).

  4. Démontrer la réactivité et la sincérité de l’organisation. Reconnaître les faits, exprimer de l’empathie, annoncer les mesures correctrices ou palliatives.

  5. Prévenir l’escalade de la crise en empêchant toute déformation médiatique ou amplification sur les réseaux.

Réussir cette mission impose une connaissance fine du terrain et une adaptation permanente du discours, en fonction des publics visés et de l’évolution de la crise.

Articulation entre communication interne et externe

Lorsque la crise se déclare, il n’y a pas seulement le monde extérieur qui attend des réponses : les collaborateurs au sein de l’entreprise constituent également un public de premier plan. D’ailleurs, il est essentiel d’éviter que vos employés découvrent la crise dans la presse avant même d’en avoir entendu parler en interne. Cela crée un sentiment de défiance et de démobilisation.

La communication interne doit donc être structurée et réactive : informer rapidement, rassurer sur la sécurité ou sur la continuité des activités, expliquer la ligne officielle pour que tous puissent être des relais de bonne foi si on les interroge. De plus, si la crise a une incidence directe sur le travail des collaborateurs (par exemple l’arrêt d’une usine, des changements de procédures, le recours au télétravail dans une crise sanitaire, etc.), cette information doit leur être transmise en priorité.

En parallèle, la communication externe s’adresse aux médias, clients, partenaires, régulateurs. Là encore, la cohérence est capitale. Impossible de déclarer publiquement “tout est sous contrôle” alors qu’en interne, les employés reçoivent des consignes d’évacuation. C’est pourquoi la cellule de communication est la mieux placée pour veiller à la congruence entre l’interne et l’externe. Dans le dispositif global, ce rôle n’est pas uniquement “technique” ; c’est aussi un travail de médiation entre la direction, le département RH, la direction juridique, etc., afin que tous partagent la même narration.

Le lien entre communication et prise de décision stratégique en crise

La communication de crise ne se contente pas de diffuser des messages. Elle participe intimement à la prise de décision au plus haut niveau. Pourquoi ? Parce que dans le monde médiatique actuel, toute décision opérationnelle a une portée réputationnelle. Par exemple, imaginons qu’une entreprise envisage de fermer temporairement un site de production pour limiter un risque environnemental. Cette décision aura évidemment des effets économiques, mais aussi des répercussions en termes d’images auprès des collectivités locales, des ONG ou de l’opinion publique. Dans la cellule de crise, le/la responsable communication peut éclairer la direction sur ce que cette décision impliquera en termes de perception publique, de retombées médiatiques et de narration officielle.

De même, si l’entreprise doit procéder à un rappel produit massif, la communication de crise sera en première ligne pour gérer l’angoisse des consommateurs, organiser la logistique de communication (communiqués, FAQ, mode d’emploi pour les retours). L’entreprise ne peut donc pas dissocier les arbitrages opérationnels et leurs conséquences en matière de communication. Autrement dit, la com’ n’est pas un service-support qui “vient après” pour dire “Voilà comment on va en parler.” Elle est associée à l’élaboration de la stratégie même, afin d’anticiper l’impact de chaque décision sur la réputation et la confiance.

Les conditions de réussite : posture, coordination, légitimité

Pour que la communication de crise remplisse efficacement ses rôles, quelques facteurs clés de succès se dégagent :

  1. Une préparation solide : Des plans de crise, des scénarios, des éléments de langage préparés à l’avance, et surtout des exercices réguliers. Comme pour un incendie, on répète le geste pour être opérationnel le jour J.

  2. Un leadership fort : Il faut une personne (ou un binôme) suffisamment légitime pour prendre rapidement des décisions et arbitrer les messages. En général, on retrouve un “dircom” ou un porte-parole clairement désigné. Sans ce leadership, les validations traînent et la communication devient chaotique.

  3. Une coordination fluide avec la cellule de crise : Le communicant doit avoir un accès direct aux informations-clés et participer aux réunions stratégiques, pas seulement être informé après coup. À l’inverse, l’équipe de com’ doit maintenir un circuit de relecture pour éviter les approximations ou incohérences qui pourraient nuire à l’organisation.

  4. La réactivité sans précipitation : Il est capital de communiquer vite, mais cela ne veut pas dire bâcler ses propos. Il faut trouver un équilibre entre la vitesse (l’heure qui passe peut être fatale) et la fiabilité des messages (les inexactitudes se payent cher).

  5. La sincérité et l’empathie : On l’oublie parfois, mais la crise touche souvent des gens réels (collaborateurs, clients, riverains). Montrez que vous vous souciez d’eux, reconnaissez la gravité de la situation quand il le faut, et évitez le langage purement corporate. C’est une question de crédibilité à long terme.

  6. Une posture d’ouverture : Ne pas laisser de place au “no comment” ou à la colère contre les médias ou les critiques. Avoir un discours maîtrisé, factuel, assumer ce qui s’est passé, expliquer ce que l’on fait pour corriger la situation. Cette transparence (dans les limites légales et stratégiques) renforce la confiance.

  7. Une veille et un ajustement permanent : Une crise n’est pas linéaire. La communication doit s’adapter en temps réel, ce qui requiert une surveillance constante des retours (journalistes, réseaux sociaux, sondages internes, etc.), et une itération rapide.

  8. Un débrief post-crise pour s’améliorer : Faire un retour d’expérience complet pour consolider les points forts et corriger les points faibles. Documenter pour la prochaine crise.

Récit : “La crise logistique transformée en opportunité de transparence”

Pour illustrer ces dynamiques, prenons l’exemple fictif d’une entreprise de transport routier qui, suite à un accident sur l’un de ses camions, voit de multiples retards de livraison impacter ses clients. Très vite, des messages de colère fleurissent sur les réseaux sociaux et quelques médias régionaux commencent à relayer l’information. La cellule de crise se réunit : la com’ propose d’émettre un communiqué rapidement, assumant l’accident et expliquant que l’entreprise prend en charge l’acheminement alternatif des marchandises.

Face à la tension, la direction hésite à mentionner publiquement la cause précise de l’accident. Mais la communication insiste : mieux vaut jouer la carte de la transparence, pour éviter les rumeurs qui pourraient laisser croire à un manquement sérieux en matière de sécurité. Le communiqué final précise que le chauffeur a dû éviter un obstacle sur la route, causant le renversement du camion, et que la marchandise est indemne. Ils promettent également une compensation pour les clients retardés. Sur les réseaux, la com’ publie des stories montrant les équipes en train de transférer la marchandise sur des camions de secours.

Résultat : une empathie se crée autour du chauffeur (qui n’a pas été blessé) et les clients saluent la réactivité de l’entreprise. L’accident, qui aurait pu entacher la réputation de la marque, devient finalement l’occasion de montrer la capacité de réaction et la volonté de bien faire. Bien sûr, il reste des critiques, mais la majorité des retours sont positifs.

La communication de crise est bien plus qu’une simple diffusion de messages : c’est un élément stratégique au cœur de la gestion de crise. À chaque étape (avant, pendant et après), la cellule de communication soutient l’organisation dans son ensemble, en assurant la cohérence des propos et la prise en compte des enjeux réputationnels. Elle permet de détecter les signaux faibles qui peuvent dégénérer, de rassurer et informer les parties prenantes dans l’urgence, de maintenir la confiance du public et de récupérer l’image de l’entreprise une fois le calme revenu.

Dans un dispositif de crise, la communication ne fonctionne pas en vase clos. Son rôle implique une étroite collaboration avec la cellule opérationnelle, la direction juridique, les ressources humaines, etc. Les communicants de crise doivent être capables de s’adapter en continu, sous haute pression, et de trouver le bon équilibre entre rapidité, précision et sincérité. S’ils y parviennent, ils deviennent de véritables piliers de la stratégie d’entreprise, en protégeant sa réputation et en gérant les réactions du public.

Finalement, comprendre ces rôles multiples de la communication, c’est reconnaître que, dans une crise, la dimension médiatique et relationnelle peut être aussi décisive que les aspects techniques ou financiers. Les entreprises qui ont investi dans une communication de crise solide, portée par une équipe expérimentée, s’en sortent en général mieux : elles réagissent plus vite, informent plus clairement, rassurent davantage. Et dans un contexte où la moindre rumeur peut enfler sur les réseaux sociaux en quelques heures, la capacité à prendre la parole efficacement est devenue un véritable atout concurrentiel.

En somme, le plus sûr moyen d’éviter qu’un incident – inévitable dans la vie d’une organisation – ne se mue en crise dévastatrice, c’est de placer la communication au centre du dispositif global de gestion de crise, dès la première minute. Un rôle essentiel, souvent sous-estimé, mais qui prouve toute sa valeur au moment où tout bascule.