- Commissions d’enquête parlementaires : se protéger face à une grande esbroufe ?
- Le dirigeant est seul
- Ce que l’on juge, ce n’est plus l’action, c’est l’image du pouvoir
- L’erreur systémique : croire que la compétence protège
- Ce que l’on exige aujourd’hui des dirigeants : tenir sans plier
- Résister sous serment, c’est une épreuve de lucidité et de nerfs
Commissions d’enquête parlementaires : se protéger face à une grande esbroufe ?
Par Florian Silnicki, Expert en communication de crise et Président Fondateur de l’agence LaFrenchCom
Dans la France d’aujourd’hui, une convocation devant une commission d’enquête parlementaire est devenue une forme sophistiquée de mise en accusation publique. Ce n’est plus un exercice démocratique ou juridique, c’est une épreuve politique et médiatique.
Une arène où l’objectif n’est plus uniquement de comprendre, mais souvent de désigner, d’exposer, et parfois de sacrifier.
Le dirigeant est seul
Seul face à des parlementaires parfois déterminés à le faire tomber.
Seul face à des caméras qui captent la moindre hésitation, le moindre froncement de sourcil.
Seul face à une opinion qui a soif de responsabilité… et parfois, de culpabilité.
Ce que l’on juge, ce n’est plus l’action, c’est l’image du pouvoir
Les commissions ne jugent pas dans le sens juridique du terme, mais elles exposent.
Et dans l’ère du soupçon généralisé, cette exposition devient en soi une forme de condamnation.
Il suffit d’une phrase maladroite, d’un soupir mal interprété, d’un chiffre oublié… et la machine s’emballe.
Ces auditions n’ont pas pour fonction d’examiner un PowerPoint. Elles ont pour fonction — explicite ou implicite — d’incarner une responsabilité
La temporalité de ces auditions ne suit pas celle de la justice. Elle suit celle des chaînes d’info, des extraits viraux, des tweets.
La gravité d’une décision y importe moins que la lisibilité d’une posture émotionnelle.
L’instant compte plus que la vérité. Le ressenti compte plus que le raisonnement.
L’erreur systémique : croire que la compétence protège
Trop de dirigeants croient encore que l’intelligence, la rigueur, l’exactitude seront leurs meilleurs alliés.
Ils pensent que leur expertise, leur technicité, leur bonne foi les protègeront.
C’est faux. Pire : c’est dangereux.
Car ces auditions n’ont pas pour fonction d’examiner un PowerPoint.
Elles ont pour fonction — explicite ou implicite — d’incarner une responsabilité.
Et dans une démocratie fragilisée par la perte de confiance, on ne demande pas à comprendre : on demande à voir tomber.
L’audition n’est pas une discussion. C’est une scène. Elle a ses codes. Son rythme. Sa dramaturgie
L’audition n’est pas une discussion. C’est une scène.
Elle a ses codes. Son rythme. Sa dramaturgie.
Ceux qui y entrent sans préparation sérieuse commettent une faute.
Ceux qui y entrent seuls commettent une imprudence.
Le silence peut être pris pour du mépris.
L’assurance, pour de l’arrogance.
La précision, pour du cynisme.
La sincérité, pour de la faiblesse.
Il ne s’agit plus de dire la vérité, mais de tenir dans la vérité. Et cela s’apprend.
Ce que l’on exige aujourd’hui des dirigeants : tenir sans plier
Tenir une ligne, garder son calme, répondre avec force sans céder à l’agressivité,
inspirer la maîtrise sans apparaître déconnecté, faire preuve d’autorité sans nier l’émotion.
Résister, c’est ne pas se désintégrer en direct sous le feu croisé des questions, des silences, des regards. C’est refuser d’être l’objet d’un lynchage narratif
C’est un équilibre que très peu savent trouver spontanément.
Et pourtant, c’est ce qu’on attend d’eux dans ces instants-là.
C’est l’examen suprême, l’entretien d’embauche de la confiance collective.
Résister sous serment, c’est une épreuve de lucidité et de nerfs
Il faut pouvoir entendre des accusations déguisées en questions.
Il faut résister à l’envie de contre-attaquer.
Il faut parfois accepter de ne pas tout dire, et toujours assumer ce que l’on dit.
Résister, c’est ne pas se désintégrer en direct sous le feu croisé des questions, des silences, des regards.
C’est refuser d’être l’objet d’un lynchage narratif.
Nous avons changé d’époque, pas encore de réflexes
Dans les années 1990, un patron auditionné s’exprimait devant quelques caméras, les comptes-rendus étaient techniques, les débats restaient institutionnels.
Aujourd’hui, un dirigeant auditionné est en direct sur YouTube, repris en temps réel sur Twitter, et jugé dès le soir même sur un plateau télé.
Mais beaucoup n’ont pas changé de logiciel. Ils arrivent comme à une commission d’experts.
Ils découvrent trop tard qu’ils sont sur une scène.
Ils tombent. Et ne comprennent pas pourquoi.
Ce n’est pas de la manipulation. C’est de la stratégie.
Il ne s’agit pas de travestir la vérité. Il s’agit de la rendre soutenable dans l’arène contemporaine.
Il ne s’agit pas de « répéter un rôle ». Il s’agit de maîtriser sa parole sous pression.
Il ne s’agit pas de « faire du storytelling ». Il s’agit de survivre au tribunal de l’opinion.
Une nouvelle responsabilité du pouvoir : maîtriser sa propre représentation
Celui qui dirige aujourd’hui doit savoir qu’il n’est plus seulement attendu sur les résultats.
Il est attendu sur l’incarnation.
Il ne s’agit pas uniquement d’agir, mais de savoir expliquer, résister, apparaître digne, clair, solide.
Cela n’a rien d’accessoire. C’est au cœur de la fonction.
Et c’est souvent là que tout se joue.
Le courage ne suffit plus
Les dirigeants doivent comprendre que l’époque ne les protège pas.
Qu’une convocation publique peut devenir un point de bascule.
Et qu’il faut s’y préparer avec la même intensité que pour une fusion, une crise financière ou une intervention d’urgence.
Résister sous serment n’est pas un slogan.
C’est une exigence nouvelle.
Et elle ne va pas disparaître.
Florian Silnicki est président-fondateur de LaFrenchCom, expert en communication de crise.