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Résilience face à la crise : leçons pratiques

résilience

Les crises vont arriver – que cela vous plaise ou non. La question n’est pas de savoir si elles surviendront, mais quand et comment vous allez encaisser le choc. La capacité à non seulement survivre à ces chocs, mais à en ressortir plus fort, porte un nom : la résilience.

Avant de plonger dans le vif du sujet, plantons le décor : la résilience est un processus de long terme qui concerne à la fois les individus et les collectifs, et qui relie le moment de la catastrophe aux périodes de prévention et de relèvement​. Dit autrement, il s’agit d’une dynamique qui démarre bien avant la crise, se joue en grande partie pendant, et se prolonge longtemps après. Entrons maintenant dans le détail.

Définir la résilience : individuelle, organisationnelle, systémique

Qu’est-ce que la résilience, exactement ? Le terme vient du latin resilire (« rebondir, jaillir en arrière »). On le retrouve d’abord en science des matériaux pour désigner la capacité d’un objet à retrouver sa forme après un choc. Aujourd’hui, appliqué aux êtres humains et aux organisations, il a pris une dimension bien plus large. Il est crucial de distinguer ses différentes échelles : la résilience individuelle, organisationnelle et systémique. Bien qu’interconnectées, ces dimensions ont leurs spécificités. Voici des définitions claires pour éviter toute confusion :

  • Résilience individuelle : C’est la capacité d’une personne à faire face aux épreuves de la vie, aux traumatismes et au stress intense, et à s’en sortir de manière positive. Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik la définit comme la « capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, en dépit du stress ou d’une adversité qui comporte normalement le risque grave d’une issue négative »​. Autrement dit, un individu résilient ne se contente pas de “tenir le coup” : il continue de construire sa vie de manière satisfaisante malgré les coups durs. Il peut s’agir d’une personne surmontant un deuil, un soldat revenant du front et arrivant à se réinsérer, ou un manager naviguant avec succès dans une période de crise intense de son entreprise. Cette résilience personnelle passe souvent par le développement de compétences d’adaptation psychologique (gestion du stress, stratégies de coping, etc.) que nous détaillerons plus loin.

  • Résilience organisationnelle : Il s’agit de la capacité d’une organisation (entreprise, administration, ONG…) à absorber les perturbations, à continuer de fonctionner sous la contrainte et à se réorganiser en tirant des leçons de la crise​. En d’autres termes, une organisation résiliente est capable de faire face à une crise (choc économique, panne majeure, scandale, catastrophe naturelle impactant ses sites…) tout en adaptant son fonctionnement pour survivre, voire prospérer. Cette définition met l’accent sur l’apprentissage et la réorganisation : l’entreprise encaisse le choc, apprend de ce qui s’est passé, et ajuste sa structure ou sa stratégie en conséquence. On parle parfois de résilience organisationnelle planifiée (quand l’organisation avait des plans prévus pour gérer telle situation, comme un plan de continuité d’activité pour une pandémie) et de résilience organisationnelle adaptative (la capacité à improviser des solutions nouvelles face à l’inattendu)​. Les deux sont importantes : avoir préparé des parades à l’avance, c’est bien, mais savoir innover en plein chaos, c’est encore mieux.

  • Résilience systémique : À l’échelle d’un système complexe (une société tout entière, un réseau, un territoire interconnecté), la résilience renvoie à la capacité d’un système dans son ensemble à encaisser des perturbations majeures tout en maintenant l’essentiel de ses fonctions et de sa structure. Une définition utilisée en socio-écologie la décrit comme « la capacité d’un système à absorber les perturbations et à se réorganiser tout en évoluant, de manière à conserver essentiellement les mêmes fonctions, la même structure… et donc son identité »​. En clair, un système résilient peut prendre des coups sans s’effondrer ni changer de nature fondamentale. Par exemple, un réseau électrique résilient pourra subir des pannes locales mais éviter le black-out général en reroutant l’énergie. De même, une société résiliente confrontée à une pandémie trouvera des moyens de continuer à faire tourner l’éducation, l’économie et les services essentiels, peut-être différemment, mais sans s’écrouler. La résilience systémique implique souvent des mécanismes de redondance, de diversification et de solidarité entre acteurs pour que l’ensemble tienne bon même si des éléments flanchent.

En résumé, la résilience individuelle concerne les personnes (leur psychologie, leur parcours), la résilience organisationnelle concerne les structures collectives (entreprises, institutions) et la résilience systémique concerne les grands ensembles interconnectés (régions, nations, écosystèmes socio-économiques complets). Les principes de base – résistance au choc, adaptation, rebond – sont similaires, mais les leviers d’action varient (on ne “répare” pas un individu comme on réorganise une entreprise ou qu’on renforce les infrastructures d’une ville). Gardez bien ces nuances en tête.

Les fondamentaux de la résilience en contexte de crise

Maintenant que le concept est posé, intéressons-nous aux fondamentaux de la résilience dans le contexte spécifique d’une crise. On entend par là les mécanismes de base qui permettent à une entité (personne, organisation ou système) de naviguer à travers la tempête et de s’en sortir. Pas de jargon inutile ici, juste quatre notions clés, simples en apparence : adaptation, apprentissage, rebond et redéploiement.

1. Adaptation : « S’adapter ou périr » – en situation de crise, l’espèce (ou l’organisation) qui survit n’est pas la plus forte, mais celle qui s’ajuste le mieux. L’adaptation, c’est la capacité à changer ce qui doit l’être pour faire face à la nouvelle réalité. Concrètement, cela peut vouloir dire modifier ses comportements (pour un individu, adopter de nouvelles routines face au stress), ajuster ses processus (pour une entreprise, réorganiser une chaîne logistique brisée), ou revoir ses priorités (pour une collectivité, mobiliser des ressources vers la réponse d’urgence au détriment d’autres activités non vitales). En pleine pandémie, combien d’entreprises ont rapidement adapté leur modèle – usines textile fabriquant des masques, distilleries produisant du gel hydroalcoolique – ? Ce réflexe d’adaptation rapide est un pilier de la résilience. Attention : s’adapter ne veut pas dire s’agiter dans tous les sens. Au contraire, il faut une bonne lecture de la situation (éviter le déni, on y reviendra) pour savoir où porter ses efforts de changement. Les organisations qui avaient une culture de flexibilité et des processus de décision agiles sont celles qui ont pu le mieux s’adapter quand le chaos s’est invité.

2. Apprentissage : Une crise est un crash-test impitoyable. Chaque faille, chaque erreur se révèle au grand jour. Une entité résiliente est celle qui apprend de ce qui lui arrive, au lieu de répéter les mêmes bêtises ou de blâmer le sort. L’apprentissage en contexte de crise prend plusieurs formes. D’abord, pendant la crise, il s’agit d’apprendre en temps réel, c’est-à-dire d’analyser ce qui fonctionne ou pas et de réajuster en continu. Ensuite, après la crise, vient le temps du recul pour tirer des leçons à froid – ce qu’on appelle couramment le retour d’expérience. Par exemple, si un plan d’évacuation a été chaotique, on identifie pourquoi (mauvaise communication ? routes inadaptées ?) afin de corriger pour l’avenir. Une organisation incapable d’apprendre de ses expériences reste vulnérable : “on ne fait pas deux fois la même erreur, la seconde fois c’est un choix”. À l’inverse, une culture qui valorise l’apprentissage transforme chaque crise en occasion d’amélioration. Notez que l’apprentissage va de pair avec la remise en question et l’humilité : il faut accepter de voir ses faiblesses en face, ce qui n’est possible que si on évite le réflexe bien humain du déni.

3. Rebond : C’est sans doute l’aspect le plus souvent associé à la résilience – l’image de la personne ou de l’entreprise qui rebondit après être tombée. Attention, “rebondir” ce n’est pas juste se relever bancalement, c’est utiliser la crise comme tremplin pour aller plus haut. On parle parfois de « rebondir en avant » (bounce forward) plutôt que de « revenir à la normale ». Un exemple parlant : un entrepreneur fait faillite, il tire les leçons de cet échec et lance avec succès une nouvelle entreprise en évitant les erreurs initiales. Il n’est pas juste revenu à son point de départ, il a progressé grâce à l’épreuve traversée. Résister sans changer, ce n’est pas de la résilience, c’est de l’inertie. Une belle métaphore est celle de l’élastique vs. la balle en caoutchouc​. L’élastique encaisse un choc et revient à sa forme initiale (il a résisté, mais il n’est pas allé plus loin). La balle, elle, plus on la cogne fort au sol, plus elle rebondit haut. La véritable résilience ressemble à la balle : le choc subi sert d’élan pour aller plus loin​. En entreprise, cela se traduit par exemple par une innovation radicale post-crise ou une croissance accélérée après un trou d’air. Pour un individu, on parle de croissance post-traumatique : certaines personnes, après un traumatisme, développent de nouvelles forces insoupçonnées, changent de vie pour le meilleur. Le rebond, c’est cette notion de ressort et de progrès né dans l’adversité.

4. Redéploiement : Moins souvent mis en avant que le rebond, le redéploiement est pourtant crucial dans la boîte à outils de la résilience. Il s’agit de la capacité à réaffecter rapidement ressources et efforts vers les priorités vitales, ou vers de nouvelles opportunités lorsque les anciennes voies sont coupées. Imaginez une ONG dont la base logistique principale est détruite : un redéploiement efficace consistera à acheminer ses équipes et ses stocks vers une base secondaire intacte, afin de maintenir l’aide. Pour une entreprise, le redéploiement peut signifier changer d’activité ou de marché après un coup dur. Un exemple concret : face à l’effondrement du marché du voyage pendant le COVID, certaines compagnies de transport de personnes ont redéployé leur flotte pour de la livraison de marchandises. Redéployer, c’est bouger les lignes en interne – budget, personnel, matériel – là où c’est nécessaire pour colmater la brèche ou saisir une nouvelle chance. Cela rejoint l’adaptabilité, mais avec une notion de mobilisation stratégique des ressources. Les organisations résilientes gardent souvent des marges de manœuvre (financières, humaines, matérielles) qu’elles peuvent redéployer en cas de crise​. À l’inverse, celles qui fonctionnent en flux hyper-tendus, sans aucune réserve ni plan B, se retrouvent asphyxiées dès qu’un grain de sable enraie la machine. Retenez ceci : la résilience est affaire de mouvement, pas de stagnation. S’adapter, apprendre, rebondir, redéployer – quatre verbes d’action qui font toute la différence en contexte de crise.

Les leviers de la résilience

Personne n’est résilient par magie. Pas plus qu’une entreprise ou une ville ne l’est par hasard. Il existe des leviers concrets sur lesquels on peut agir pour renforcer sa résilience. Ici, on va être pragmatique et direct : si vous voulez être capable d’encaisser les crises, vous feriez bien de vous assurer que ces facteurs sont au rendez-vous. On va parler leadership, communication, culture organisationnelle, gouvernance, logistique, redondance et innovation. Chacun de ces éléments peut doper – ou au contraire plomber – votre capacité de résilience. Tour d’horizon des ingrédients clés :

  • Leadership exemplaire : En temps de crise, tout se joue souvent au niveau des dirigeants et des managers. Un leadership résilient implique deux choses. D’une part, une vision claire et partagée : le leader rappelle le cap, le “pourquoi” de l’organisation, ce qui donne du sens aux efforts même dans la tourmente​. D’autre part, un style de management favorisant la confiance, l’autonomie et l’initiative plutôt que le contrôle tatillon. Un bon leader de crise communique de façon honnête et transparente, implique ses équipes dans la recherche de solutions, et sait déléguer la décision à ceux qui sont les mieux placés (principe de subsidiarité). Fuir dans sa tour d’ivoire ou jouer au petit dictateur en pensant rassurer, c’est la pire chose à faire (nous reviendrons sur ces erreurs). Au contraire, un leader résilient est un facilitateur qui encourage l’émergence d’idées innovantes face aux problèmes imprévus​. En bref : fixez une direction forte, et lâchez la bride à vos troupes pour qu’elles vous surprennent par leur ingéniosité.

  • Communication fiable : En crise, l’information reposant sur les faits vérifiés, c’est l’oxygène. Une communication efficace, c’est d’abord la capacité à collecter rapidement des informations fiables sur la situation, et à les diffuser aux bonnes personnes sans délai. Une organisation résiliente veille à ne pas être aveugle : elle a mis en place des systèmes de veille et de remontée d’information (indicateurs internes, capteurs externes) qui lui permettent de détecter les signaux faibles avant que la crise n’explose​. Ensuite, la communication, c’est aussi ce qu’on dit et comment on le dit. Un message clair, cohérent, régulier de la part de la direction, c’est un point d’ancrage précieux pour les équipes au milieu du chaos. Mieux vaut avouer “nous n’avons pas encore la solution, mais on y travaille jour et nuit” que de laisser circuler des rumeurs ou des informations contradictoires. Transparence et pédagogie créent la confiance – ingrédient indispensable pour mobiliser tout le monde dans l’effort de résilience. N’oublions pas la communication vers l’externe : parties prenantes, clients, grand public. Une crise mal gérée en termes de com’ peut briser la réputation d’une entité et aggraver le dommage initial. Leviers concrets : cellules de crise communicantes (porte-parole formés, usage stratégique des réseaux sociaux), feedback loop (écouter les retours du terrain et s’ajuster), et éviter la langue de bois.

  • Culture organisationnelle solide : La culture d’une organisation se révèle quand tout va mal. Une culture résiliente est celle qui valorise l’apprentissage, l’entraide et l’innovation. Prenons deux entreprises fictives face à la même crise : dans l’une, toute mauvaise nouvelle est tue et chacun reste dans son silo en attendant les ordres ; dans l’autre, on considère que le problème de l’un est le problème de tous et on encourage les idées de partout. Devinez laquelle a plus de chances de s’en sortir ? Une culture positive et ouverte permet aux signaux d’alarme d’être entendus (plutôt que niés), et aux solutions créatives d’émerger de n’importe quel niveau. Les chercheurs notent deux pratiques culturelles essentielles : considérer les défis comme des opportunités d’apprentissage (plutôt que de nier les problèmes ou blâmer le destin), et encourager la créativité/innovation à tous les étages​. Dans une telle culture, les employés ne craignent pas de remonter une alerte (même si ça fait mal à entendre), ni de proposer une idée nouvelle (même si elle peut échouer). Concrètement, cela passe par valoriser l’initiative, tolérer l’échec intelligent (celui dont on tire des leçons) et célébrer les solutions trouvées même en-dehors du protocole habituel. Une culture résiliente est à l’opposé d’une culture du blâme ou du statu quo. C’est souvent l’affaire du long terme, inculquée par le leadership et les pratiques RH (formation, onboarding insistant sur ces valeurs, etc.).

  • Gouvernance et structure agiles : La résilience organisationnelle est aussi une question de structure et de processus de décision. Des règles de gouvernance appropriées peuvent tout changer. Par exemple, il est démontré que les organisations qui pratiquent la décision décentralisée (déléguer le pouvoir à ceux qui sont au plus près de l’action, indépendamment du grade hiérarchique) sont plus réactives et résilientes​. En situation d’urgence, attendre que le PDG valide la commande de pompes incendie peut coûter cher ; mieux vaut que les équipes locales puissent décider immédiatement. De même, une organisation très cloisonnée, en silos, où chaque département agit sans coordination, verra sa résilience entravée : duplication des efforts, perte d’infos, réponses incohérentes​. À l’inverse, une bonne coordination interne et des circuits de décision clairs et flexibles accélèrent la réponse. Une autre facette de la gouvernance résiliente, c’est la transparence et l’inclusivité dans la prise de décision. En temps normal déjà, c’est souhaitable, mais en temps de crise c’est vital pour garder la confiance des parties prenantes internes et externes. Par exemple, impliquer divers experts et acteurs de terrain dans la cellule de crise permet d’avoir une vision plus complète et d’éviter l’isolement décisionnel. Enfin, mentionnons la planification adaptative : plutôt que des plans rigides gravés dans le marbre, adoptez des plans “vivants”, mis à jour régulièrement, avec des scénarios multiples, et n’hésitez pas à sortir du plan si la réalité l’exige. La capacité à improviser dans un cadre flexible vaut mieux que suivre aveuglément une feuille de route obsolète.

  • Logistique et infrastructure robustes : Impossible de parler résilience sans évoquer la logistique – un terme qui ici va au-delà des camions et des entrepôts. Il s’agit de la capacité à fournir les ressources adéquates au bon endroit et au bon moment malgré la tempête. Une chaîne logistique résiliente sait encaisser des ruptures : par exemple, si un fournisseur critique fait défaut, elle a un second fournisseur sur le banc, ou bien un stock de sécurité pour tenir. Pensez aux pénuries de masques en 2020 : les systèmes de santé qui dépendaient d’un flux tendu unique ont été à genoux, tandis que d’autres qui avaient anticipé des stocks stratégiques ou une production locale s’en sont mieux sortis. Les mots-clés ici sont : diversification (ne pas mettre tous les œufs dans le même panier de fournisseurs), redondance (avoir des ressources en extra en cas de pic de demande ou de casse), agilité (capacité à rediriger rapidement les flux, à trouver des alternatives). En gestion de crise, la logistique est reine – que ce soit pour déployer de l’aide humanitaire, pour évacuer des populations, ou pour continuer à servir ses clients en plein chaos. Une organisation résiliente investit dans des infrastructures solides (par ex. systèmes IT avec sauvegardes géo-redondantes, sites de secours) et entretient un réseau logistique modulable (transport, approvisionnements) qui peut monter en puissance ou se reconfigurer en fonction des besoins. Cela coûte un peu plus cher en temps calme (maintenir des réserves, des capacités excédentaires), mais le retour sur investissement en cas de crise est énorme : on parle tout simplement de survie du système. « Avoir une supply chain optimisée à 100% c’est bien pour les coûts, jusqu’au jour où ça casse », avertit le bon sens.

  • Redondance et ressources de secours : Ce point est lié au précédent mais mérite son propre éclairage tant il est stratégique. La redondance, c’est le fait d’avoir un plan B, C, voire D pour les éléments critiques. En ingénierie, on double un circuit de sécurité pour qu’il prenne le relais si le principal flanche. En gestion de crise, il en va de même. Une entreprise résiliente maintient un “excédent” de ressources – financières, matérielles, humaines – au cas où​. Ça peut être un fonds de réserve d’argent, une équipe de support multi-compétente qu’on peut déployer là où ça chauffe, des systèmes informatiques de secours, etc. Oui, en période normale, ce “gras” peut sembler de la ressource inutilisée, un manque d’efficience court-termiste. Mais le jour où survient un choc, cet excédent devient votre bouée de sauvetage ou votre moteur de rebond. Pensez à une ONG qui a 50 volontaires formés en plus sur le terrain : quand l’ouragan frappe, ces 50-là permettent de couvrir plus de zones sinistrées immédiatement. À l’inverse, une entité “lean” à l’extrême, sans aucune redondance, sera vite débordée. La redondance s’applique aussi aux connaissances et compétences : ne pas tout miser sur une seule personne sachant faire une tâche critique, former des suppléants, documenter les procédures pour que quelqu’un d’autre puisse les exécuter en cas d’absence. En un mot : anti-fragilité. Si la casse d’un élément unique suffit à tout paralyser, c’est qu’il manque de la redondance quelque part.

  • Innovation en continu : Dernier levier, et non des moindres : l’innovation. On pourrait croire que l’innovation est un luxe de temps calme, et qu’en période de crise il faut juste “exécuter les procédures”. Erreur ! Les crises modernes, par leur caractère souvent inédit, exigent ingéniosité et créativité. Les organisations qui s’en sortent sont celles qui savent sortir des sentiers battus. Innover en crise ne veut pas forcément dire inventer la roue pendant la tempête, mais peut vouloir dire bricoler une solution provisoire ingénieuse, ou réinventer son mode de fonctionnement pour s’adapter. Un exemple célèbre d’innovation de crise : lors de l’accident Apollo 13, la NASA a dû improviser en quelques heures un système pour filtrer le CO₂ en combinant du matériel hétéroclite disponible à bord – et ça a marché, sauvant l’équipage. Dans le monde de l’entreprise, on l’a vu pendant le Covid, des restaurants ont inventé des modèles de vente à emporter premium, des marques de luxe ont produit du gel hydroalcoolique… Encourager l’innovation, c’est d’ailleurs un état d’esprit qui se cultive avant la crise, dans la culture (valoriser la créativité, comme on l’a dit plus haut) et dans l’organisation (par exemple, monter des cellules R&D agile capables de prototyper vite des idées). En pleine crise, cela signifie aussi être à l’écoute des idées du terrain : parfois ce sont les opérateurs, les infirmières, les volontaires sur place qui ont la vision la plus pratique de ce qu’on pourrait améliorer. L’innovation passe par eux autant que par le top management. En résumé : la résilience s’accommode mal du « on a toujours fait comme ça ». Au contraire, elle récompense les audacieux qui osent essayer autre chose quand tout semble bloqué.

Voilà pour les principaux leviers. Retenez qu’ils interagissent entre eux : un leadership encourageant favorisera une bonne culture, qui elle-même permet l’innovation ; une gouvernance agile facilite la communication, etc. La résilience est un sport d’équipe et un sport complet : négliger un de ces facteurs peut affaiblir l’ensemble. Maintenant, intéressons-nous à l’humain au cœur de la crise – car tous les plans du monde ne valent rien sans les femmes et les hommes capables de tenir bon.

La psychologie de la résilience : stress, trauma, burn-out et coping

Une crise, ce n’est pas qu’une affaire de procédures et de logistique – c’est d’abord une épreuve humaine. Comprendre la psychologie de la résilience est donc fondamental pour les gestionnaires de crise. Ici, on parle de ce qui se passe dans la tête et le cœur des individus confrontés à l’adversité : le stress aigu, le trauma potentiel, l’épuisement (burn-out) qui guette, mais aussi les moyens d’y faire face (coping) et l’importance de l’engagement. Pas de résilience sans résilients, et pas de résilients sans un minimum de compréhension de la psyché humaine en situation extrême.

Stress et trauma : Lorsqu’une crise survient, le stress monte en flèche. C’est une réaction normale – voire salvatrice à court terme – du corps et de l’esprit face au danger (fuite ou combat). Mais un stress intense et prolongé peut conduire à l’épuisement, au désespoir, et dans les cas extrêmes au traumatisme psychique. Un événement traumatisant (attentat, catastrophe naturelle, accident grave…) peut provoquer un état de stress post-traumatique (PTSD) chez certains individus, c’est-à-dire une blessure mentale durable. La résilience psychologique consiste en partie à pouvoir absorber ce stress sans se briser, ou à surmonter le trauma avec le temps. Attention, être résilient ne veut pas dire être insensible ou invulnérable ! Ressentir la peur, la tristesse ou le choc est normal et humain. La différence, c’est dans la capacité à progressivement intégrer l’événement, à réguler son stress, à retrouver son fonctionnement. Cela passe souvent par du soutien social (famille, collègues, pairs), par l’expression des émotions (parler de ce qui s’est passé au lieu de refouler) et éventuellement par un accompagnement professionnel (psychologues, debriefing post-incident). De plus en plus d’organisations comprennent qu’après une crise violente, il faut prendre soin de la santé mentale des équipes – sous peine de les voir craquer plus tard. Par exemple, à la suite d’un accident industriel, prévoir un suivi psy pour les employés impactés n’est pas du luxe mais bien une stratégie de résilience : des employés qui vont mal resteront bloqués dans le passé, incapables de contribuer au rebond collectif.

Burn-out : Le burn-out mérite une mention spéciale car c’est l’ennemi insidieux de la résilience dans les crises au long cours. Autant un trauma est lié à un événement violent ponctuel, autant le burn-out est lié à un stress chronique prolongé, sans récupération. En situation de crise qui dure (conflit, pandémie, crise économique…), les individus – et en particulier les responsables très impliqués – risquent la surchauffe. Le burn-out se manifeste par un épuisement extrême, une démotivation totale, un cynisme, et souvent des problèmes de santé. On a pu dire que « le burn-out est l’ombre de la résilience », c’est-à-dire le revers quand on pousse les gens au-delà de leurs limites sans relâche​. Prévenir le burn-out fait donc partie intégrante de la gestion de crise. Cela implique de surveiller la charge de travail et émotionnelle des équipes, de forcer parfois les plus dévoués à prendre une pause (car souvent ils ne s’arrêtent pas d’eux-mêmes), de favoriser un climat où demander de l’aide n’est pas vu comme une faiblesse. Les organisations résilientes encouragent la self-care même en crise : pauses, sommeil, alimentation, rotation des équipes sur les postes critiques, etc. Il vaut mieux une équipe un peu moins “sur le pont 24/7” mais qui tient sur la durée, qu’une équipe de héros épuisés qui s’effondrent au bout de deux semaines. À noter : la résilience individuelle et le burn-out sont intimement liés à la notion d’engagement au travail (ou dans l’action). Des études montrent que plus un individu est résilient, mieux il saura faire face aux exigences du travail sans s’épuiser, et plus son engagement sera élevé​. Cultiver la résilience de chacun est donc une protection contre le burn-out.

Coping (stratégies d’adaptation) : En psychologie, le terme coping désigne l’ensemble des stratégies qu’une personne va déployer pour faire face à un stress. Il y a plusieurs façons de faire du coping : chercher activement une solution au problème (coping centré sur le problème), chercher du soutien ou exprimer ses émotions (coping centré sur l’émotion), relativiser, ou au contraire nier le problème (coping maladaptatif s’il dure), se distraire, etc. En situation de crise, les individus résilients ont souvent recours à des stratégies de coping actives et variées. Par exemple, un responsable peut décider de réunir son équipe pour brainstormer des solutions (il fait face activement au problème), puis appeler un mentor le soir pour évacuer la pression (il gère son émotion). Il est prouvé qu’adopter plusieurs mécanismes de coping positifs augmente les chances de bien s’adapter. À l’inverse, tomber dans des coping négatifs comme la fuite permanente (refuser de décider, s’isoler), la consommation excessive d’alcool ou le refus d’admettre la réalité peut aggraver la situation. La bonne nouvelle, c’est qu’on peut apprendre à mieux faire face. Des formations à la gestion du stress et au coping existent, notamment pour les secouristes, militaires, médecins d’urgence – tous ceux exposés à de fortes doses de stress. Ces programmes entraînent à des techniques comme la respiration, la pleine conscience, la restructuration cognitive (changer sa façon de percevoir la menace), etc., afin d’augmenter la “boîte à outils” mentale disponible le moment venu. Pour un manager de crise, connaître un peu ces notions permet de détecter qui dans l’équipe gère ou ne gère pas, et d’agir (coaching, rotation, encouragement à parler…).

Engagement et sens : Un facteur psychologique souvent sous-estimé est l’engagement – c’est-à-dire l’implication active et le sens que l’on trouve à ce que l’on fait. En temps de crise, avoir un but clair et une motivation forte agit comme un amortisseur de stress. Si je suis intimement convaincu que mon action a du sens (sauver des vies, ou préserver mon entreprise et ses emplois, ou protéger ma famille), je tiendrai plus longtemps et je surmonterai mieux les difficultés. L’engagement peut être individuel (la “flamme” intérieure qui fait qu’on ne lâche pas l’affaire) mais aussi collectif : une équipe soudée par une mission commune sera plus résiliente que des individus dispersés sans vision. C’est pourquoi en situation de crise, les bons leaders rappellent sans cesse la “raison d’être” de l’effort en cours​. Par exemple, un maire en pleine gestion d’une inondation mobilisera ses équipes en leur disant « on se bat pour la sécurité de nos concitoyens, chaque sac de sable compte ». Cet engagement nourrit ce qu’on appelle parfois le « courant d’énergie résiliente » – c’est ce supplément d’âme, cette volonté de fer collective qui permet de tenir quand objectivement on n’en peut plus. Attention toutefois : un fort engagement sans régulation peut mener au burn-out dont on parlait. D’où l’importance d’un équilibre entre engagement et récupération.

En résumé, la psychologie de la résilience nous enseigne qu’il faut prendre soin de l’humain autant que du technique. Un plan parfait ne vaut rien si les gens chargés de l’exécuter sont tétanisés par la peur ou épuisés. Gérer le stress, accompagner les traumatismes éventuels, prévenir l’épuisement, encourager des stratégies de coping saines et nourrir l’engagement collectif sont autant de tâches essentielles du gestionnaire de crise. C’est un domaine où l’empathie et l’écoute sont aussi importantes que l’autorité et l’action. Dans “gestion de crise”, n’oubliez jamais qu’il y a “gestion” mais surtout qu’il y a “crise” – et la crise, c’est d’abord des émotions et des humains.

Les étapes de construction de la résilience : avant, pendant et après la crise

Passons maintenant à la dimension temporelle de la résilience. Comme on l’a dit, la résilience n’est pas juste un trait inné, c’est un processus qui s’inscrit dans le temps. On distingue classiquement trois grandes étapes ou périodes dans la gestion de crise qui correspondent à autant d’opportunités de construire (ou d’éroder) la résilience : avant la crise (préparation/prévention), pendant la crise (réponse/ adaptation), et après la crise (reconstruction/apprentissage)​. Chacune de ces phases requiert des actions spécifiques.

Pour être bien clair, on va les aborder l’une après l’autre, car les enjeux ne sont pas les mêmes suivant le moment :

  • Avant la crise – Prévention et préparation : C’est en amont, lorsque tout va “bien” ou à peu près, que se joue une bonne partie de la résilience future. Anticiper les coups durs est le B.A.-BA : identifiez vos vulnérabilités, évaluez les risques potentiels (analyse de risque, cartographies), et prenez des mesures préventives. Par exemple, si vous savez que votre région est sismique, renforcez vos bâtiments avant le tremblement de terre. Si un scénario d’attaque cyber peut vous toucher, sécurisez vos systèmes et faites des sauvegardes hors-ligne. Cela semble évident, mais beaucoup sombrent dans la complaisance (“ça ne nous est jamais arrivé en 30 ans…”) jusqu’au jour où. Ne soyez pas de ceux-là. Concrètement, la phase pré-crise inclut : l’élaboration de plans de continuité d’activité (PCA) et de plans de gestion de crise pour les risques majeurs identifiés, la constitution de réserves (financières, stocks stratégiques, contacts utiles), la formation et entraînement des équipes (exercices de simulation de crise, drills évacuation, etc.), et plus largement le développement d’une culture de la résilience (sensibilisation de tout le personnel aux bons réflexes en cas d’urgence, comme la Nouvelle-Zélande qui organise chaque année un exercice national “Shake Out” de préparation aux séismes​). C’est aussi pendant cette phase qu’il faut consolider les relations avec les parties prenantes : avoir des partenaires de confiance, des canaux de communication établis avec les autorités, les clients, etc., pour ne pas se retrouver isolé le jour J. En somme, chaque euro et chaque heure investis en prévention/prépa avant vous en feront économiser dix en gestion de crise ensuite. Et potentiellement, ça sauvera des vies ou votre business.

  • Pendant la crise – Réponse et adaptation : La crise frappe, c’est le chaos, la pression maximale. C’est là que tout ce que vous avez préparé en amont doit se déployer, mais aussi là où il faudra faire preuve d’une adaptation constante. Pendant la crise, l’important est d’agir rapidement et efficacement pour contenir l’impact immédiat. On entre en mode “cellule de crise” : application des plans (si applicables), activation des cellules de réponse (équipes d’intervention, communication de crise, etc.), protection des personnes d’abord (priorité à la sécurité et à la santé). C’est une phase où les décisions se prennent souvent avec information incomplète, donc il faut accepter une part d’incertitude et avancer quand même. Les structures résilientes ont des équipes entraînées qui savent qui fait quoi, évitant la panique ou l’hésitation prolongée. Cependant, aucune planification ne correspondra exactement à la réalité de la crise : il faut donc ajuster en temps réel. C’est ici que la capacité d’improvisation, l’ingéniosité des équipes et le leadership dont on a parlé plus tôt entrent en jeu. Un maître-mot : communication (encore et toujours). Internement, pour coordonner l’action et garder le moral des troupes, et extérieurement, pour informer et éventuellement demander de l’aide. Un autre enjeu pendant la crise est de garder une vision d’ensemble même en étant plongé dans les opérations : ne pas négliger les conséquences à moyen terme pendant qu’on gère l’urgence immédiate. Par exemple, éteindre l’incendie c’est bien, mais pensez aussi dès maintenant à comment reloger les sinistrés pour ce soir. Les décisions prises pendant la crise peuvent soit préparer le terrain du rebond, soit aggraver les dégâts invisibles. Par exemple, sacrifier la transparence et mentir au public “pour gérer” peut se retourner contre vous après (perte de confiance massive). Donc, gérez l’immédiat sans hypothéquer l’avenir. Enfin, c’est en plein cœur de la crise que se forge souvent la solidarité et la cohésion qui feront la résilience de demain : les liens humains créés ou renforcés dans l’adversité sont un ciment puissant.

  • Après la crise – Rebond et relèvement : Une fois le pic passé, beaucoup poussent un soupir de soulagement. Attention : la crise n’est pas finie, elle change juste de forme. La phase post-crise est celle du relèvement, de la reconstruction, qu’elle soit matérielle, économique, psychologique ou organisationnelle. C’est une phase délicate : la tentation est grande de vouloir “tourner la page” le plus vite possible et revenir à la normale. Grave erreur. Il faut au contraire tirer profit de cette fenêtre pour reconstruire en mieux. D’abord, c’est le moment du bilan honnête : qu’est-ce qui a marché, qu’est-ce qui a failli ? Recueillez le retour d’expérience de toutes les parties prenantes pendant que c’est frais. Identifiez sans complaisance les failles (et surtout ne retombez pas dans le déni si quelque chose a été mal géré). Ensuite, vient le temps de la remise en état : rebâtir les infrastructures détruites, renflouer les caisses si besoin, soigner les blessés et accompagner les victimes, etc. Cette étape est en fait un processus de transformation. On ne revient jamais exactement à l’état antérieur : on doit trouver un nouvel équilibre suite à la perturbation​. C’est l’occasion d’intégrer des améliorations pour être plus robuste ou plus agile face aux crises futures. Par exemple, après une cyberattaque, une entreprise profitera de la remise en service pour investir dans de meilleurs pare-feu et procédures. Après un ouragan, une ville reconstruira des digues plus hautes et des refuges plus nombreux qu’avant. On parle parfois de « reconstruction améliorée » (build back better en anglais). Un point crucial en post-crise, souvent négligé, est le soutien psychologique à long terme. Les effets sur la santé mentale peuvent perdurer bien après le retour apparent à la normale. L’exemple de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen en 2019 l’a tristement montré : deux ans après la catastrophe, on mesurait une hausse de 30 % des probabilités de dépression chez les riverains touchés​, signe qu’on avait sans doute clos le chapitre un peu trop vite et laissé des gens seuls avec leurs angoisses. Une erreur classique est de démobiliser trop tôt. La résilience post-crise demande au contraire de consolider les acquis (par exemple, institutionnaliser certaines bonnes pratiques nées pendant la crise, conserver les liens de coopération tissés) et de diffuser les leçons apprises. C’est aussi le moment de célébrer – oui célébrer – ce qui peut l’être : les succès obtenus malgré l’adversité, les héros du quotidien, la communauté qui s’est soudée. Cela participe à restaurer la confiance et l’optimisme, carburants de la résilience future.

En suivant ces trois étapes, on voit que la résilience se construit dans un cycle continu. Une crise survenue aujourd’hui, bien gérée et apprise, rend plus fort pour la suivante. À l’inverse, une crise mal anticipée ou dont on ne tire pas les leçons prépare le terrain pour un prochain fiasco. En gestion de crise, ayez toujours un coup d’avance (préparation), une attention pleine au présent (gestion) et un regard sur l’après (rebond). C’est exigeant, mais c’est payant.

Les erreurs classiques à éviter

Parlons franchement des pièges dans lesquels il ne faut absolument pas tomber. Même des gestionnaires aguerris, sous la pression, commettent des erreurs qui peuvent saboter la résilience de leur organisation ou de leur équipe. Identifions les plus courantes : le déni, le micro-management, l’isolement décisionnel, et la vision court-termiste. En évitant ces écueils, vous maximisez vos chances de mener votre barque à bon port.

  • Le déni : « Ça n’arrive qu’aux autres », « cette crise n’est pas si grave », « tout va s’arranger tout seul ». Le déni est humain – c’est un mécanisme de défense face à une réalité trop dérangeante – mais en gestion de crise, il est catastrophique. Refuser de voir la réalité en face, c’est perdre un temps précieux et aggraver les dégâts. La première étape de la résilience, c’est de regarder la vérité en face, même si elle fait peur. Sortir du déni signifie accepter que la situation est sérieuse, possiblement durable, et qu’il y aura des conséquences lourdes pour tout le monde​. C’est seulement une fois cette lucidité acquise qu’on peut agir de manière appropriée. Le déni peut frapper à plusieurs moments : avant la crise (on ignore les signaux d’alarme), pendant (on minimise l’ampleur des pertes ou on se dit que “ça va passer”), voire après (on enterre l’incident sans en tirer les leçons). Exemple d’erreur de déni : des dirigeants qui, malgré des rapports inquiétants, tardent à déclencher le plan d’urgence parce qu’ils n’y “croient pas”. Ou un gouvernement local qui tarderait à évacuer avant un ouragan malgré les prévisions météo claires – parce que ça coûterait cher ou ferait paniquer inutilement… Résultat : on se retrouve submergé parce qu’on a refusé d’agir tôt. Le conseil est simple : forcez-vous à affronter la réalité, appuyez-vous sur les faits, écoutez les experts terrain et les signaux (même faibles). Si vous sentez en vous-même ou dans votre équipe une tendance au déni (« non, ce volcan ne va pas entrer en éruption, c’est une fausse alerte »), secouez-vous. La résilience commence par la conscience. Mieux vaut un excès de prudence qu’un retard coupable. Bien sûr, ne pas céder au déni ne veut pas dire être dans la panique ou le catastrophisme permanent – c’est juste reconnaître ce qui est, pour pouvoir agir.

  • Le micro-management en crise : Sous stress extrême, certains responsables ont un réflexe malheureux : resserrer tous les contrôles, tout vouloir valider eux-mêmes, descendre dans le détail de chaque action. C’est compréhensible (la peur fait vouloir tout contrôler), mais c’est mortifère. En situation de crise, le temps est compté et personne n’a une vision complète de tout. Un chef qui micro-manage va se transformer en goulot d’étranglement : tout doit passer par lui, donc tout ralentit, pendant que le contexte empire. De plus, ce comportement démotive et paralyse les équipes : moins d’initiatives locales, plus d’attentisme (“puisque le boss veut tout décider, laissons-le faire…”). Les témoignages abondent sur ces managers en crise qui deviennent autoritaires, tatillons, incapables de déléguer, et qui au final empirent la situation​. C’est tout l’inverse du leadership résilient décrit plus haut. Attention, déléguer ne veut pas dire disparaître ou ne pas piloter – cela veut dire faire confiance aux bonnes personnes pour prendre les décisions opérationnelles rapides, pendant que vous gardez votre énergie pour la stratégie globale. Si vous passez votre temps sur des micro-détails, qui réfléchira à deux jours ou deux semaines plus tard ? Un bon moyen d’éviter ce piège est d’avoir défini à l’avance les rôles dans la crise : qui décide de quoi, à quel niveau. Et de vous y tenir, même quand l’adrénaline monte. Si vous sentez que vous êtes en train de replonger dans tout contrôler, posez-vous et recentrez-vous sur vos priorités de niveau supérieur. Votre boulot en tant que pilote de crise n’est pas d’être aux manettes de chaque engrenage, mais de vous assurer que l’horloge continue de tourner. Laissez vos experts faire leur part, et soutenez-les plutôt que de les étouffer.

  • L’isolement décisionnel : C’est le cousin du micro-management. Cela décrit la situation où la décision se prend en cercle trop restreint, ou en vase clos, sans consulter ceux qui ont l’information de terrain ni coopérer avec les partenaires extérieurs. En clair, c’est se tirer une balle dans le pied en refusant de s’appuyer sur l’intelligence collective. En pleine crise, s’enfermer dans son bunker avec deux conseillers et ignorer les retours du front, c’est la garantie de décisions inadéquates. De même, ne pas coordonner avec les autres entités impliquées (autres services, filiales, autorités…) mène au chaos : doublons, oublis, contradictions. Une organisation résiliente doit casser les silos et jouer collectif. Un manque de coordination interne figure d’ailleurs parmi les menaces majeures pour la résilience​. Les erreurs typiques : une cellule de crise qui ne consulte pas les techniciens qui connaissent le problème technique sur le bout des doigts ; une entreprise qui gère “sa” crise industrielle sans impliquer la mairie ou les pompiers, créant incompréhensions et perte de temps ; un responsable qui coupe court aux remontées d’informations dérangeantes (retour au problème du déni). Pour éviter l’isolement décisionnel, il faut intégrer la diversité dans la gestion de crise : diverses expertises, divers niveaux hiérarchiques, et ne pas hésiter à demander de l’aide ou conseil à l’extérieur si nécessaire (entraide inter-entreprises, consultants, réseaux professionnels, etc.). S’isoler par orgueil ou méfiance, c’est se priver de ressources précieuses et c’est souvent mal perçu (vos propres équipes risquent de penser que vous cachez des choses ou que vous n’avez pas confiance en elles). La transparence contrôlée et la collaboration ne sont pas un luxe, mais une nécessité. En un mot : ne restez pas seuls dans votre coin, la crise doit être affrontée ensemble.

  • La vision court-termiste : Dernière erreur récurrente, et non des moindres : ne penser qu’au très court terme. Evidemment, en crise il faut d’abord éteindre l’incendie, mais cela ne doit pas vous rendre aveugle à ce qui vient après. Prendre des décisions qui soulagent immédiatement mais compromettent l’avenir, c’est un mauvais calcul. Par exemple, licencier massivement pour sauver la trésorerie tout de suite, sans réfléchir à comment l’entreprise pourra repartir ensuite (et se retrouver sans talents lors du rebond). Ou bien, pour un gouvernement, céder à la facilité d’un discours totalement rassurant et minimisant (“tout est sous contrôle, dormez tranquille”) qui peut calmer sur le moment, mais qui détruira la confiance quand la vérité éclatera. La vision court-termiste se manifeste aussi par l’absence d’investissement en prévention (ce qu’on évoquait sur la phase “avant”) : vouloir maximiser le profit ou l’efficacité immédiate en rognant sur toutes les marges de sécurité, c’est se tirer une balle dans le pied plus tard. Exemple concret : une entreprise qui, pour réduire ses coûts trimestriels, supprime ses stocks de pièces détachées et son deuxième datacenter de secours. Les actionnaires sont contents… jusqu’au jour où un imprévu cloue la production ou plante le système, arrêt total. La résilience demande une certaine vision à long terme, d’accepter des coûts présents pour des bénéfices futurs incertains (car la crise est par définition pas certaine dans sa date ou forme). Le court-termisme est souvent encouragé par la pression du résultat immédiat (reporting financier, politique du chiffre) ; il faut avoir le courage de résister à cette pression quand il en va de la pérennité. En gestion de crise même, “court-termisme” peut vouloir dire ne penser qu’à survivre jusqu’à demain sans préparer le redémarrage d’après-demain. Anticipez la suite dès que possible. Les meilleurs gestionnaires d’urgence savent qu’il faut planifier la sortie de crise pendant qu’on la gère. Cela peut vouloir dire, par exemple, commencer très tôt à planifier la reconstruction ou la reprise d’activité partielle, alors même qu’on est en plein dans l’urgence humanitaire. Si vous n’y pensez pas, quand l’urgence immédiate se termine, vous serez face à un vide ou une improvisation totale pour la suite.

En évitant ces erreurs – le déni, le micro-management, l’isolement, la vue à courte vue – vous éviterez de saborder vos propres efforts. C’est souvent plus facile à dire qu’à faire, car sous la pression on retombe dans nos travers psychologiques (peur, besoin de contrôle, etc.). D’où l’importance de la préparation et de la prise de conscience : connaître ces pièges à l’avance aide à les repérer et à se corriger en temps voulu. N’hésitez pas d’ailleurs, en équipe, à vous briefer mutuellement sur ces points : “Si tu me vois commencer à tout micromanager, dis-le moi !”. La résilience, c’est aussi savoir écouter les alertes… même quand elles pointent nos propres erreurs.

Études de cas percutantes et variées

Théorie, check. Passons à la pratique avec quelques cas concrets de résilience (ou de manque de résilience). Rien de tel que des histoires réelles pour illustrer ces concepts. Nous allons examiner une entreprise, une collectivité territoriale, une ONG et un État, pour montrer comment chacun, à son niveau, a fait preuve de résilience face à une crise majeure – ou ce qu’il en a coûté de ne pas en faire preuve. Ces exemples, variés par leur nature, vous montreront la portée universelle de la résilience et la manière dont les principes qu’on a vus se traduisent dans le monde réel.

  • Entreprise – Apple au bord de la faillite puis triomphe : Dans les années 1990, Apple, aujourd’hui l’une des plus riches entreprises du monde, a connu une crise existentielle. En 1997, la société est au bord de la faillite – Steve Jobs évoquera même qu’il ne restait que 90 jours de trésorerie, tellement la situation était critique. Que s’est-il passé ensuite ? Un spectaculaire rebond orchestré par Jobs à son retour aux commandes. Apple a fait preuve de résilience en changeant radicalement sa stratégie et en innovant (abandon de projets non rentables, alliance surprise avec Microsoft pour un investissement salvateur, lancement de l’iMac coloré innovant, puis du iPod quelques années plus tard). En l’espace de quelques années, Apple non seulement évite la mort, mais redevient rentable, puis révolutionne l’industrie musicale, téléphonique, etc. Les fondamentaux de la résilience y sont tous : apprentissage (Apple a tiré les leçons de ses échecs, comme celui du Newton, et recentré son offre), adaptation (nouveau design, nouveau système d’exploitation en s’appuyant sur NeXT, la société que Jobs avait fondée entre-temps), leadership fort et visionnaire (Jobs donne une vision claire et inspire les équipes) et innovation (chaque produit phare était un pari osé). Autre ingrédient : culture du rebond – Apple a toujours eu une culture de challenger qui veut “changer le monde”, cette croyance quasi-idéologique a maintenu l’engagement des employés même dans la tourmente. À retenir : une crise peut être le prélude à une renaissance éclatante si on sait se remettre en cause en profondeur. Pour un exemple plus hexagonal, on peut citer La Redoute, fleuron de la vente par correspondance française, qui a failli disparaître au début des années 2010 face à la chute du catalogue papier et à la montée d’Internet. Grâce à un plan drastique mais visionnaire de transformation digitale (fermeture d’entrepôts obsolètes, passage au tout-en-ligne, marketplace, etc.), La Redoute a réussi un redressement spectaculaire : revenus à nouveau en croissance et image rajeunie. L’entreprise a su redéployer ses ressources vers le e-commerce et innover dans son modèle, là où tant d’autres enseignes historiques ont mis la clé sous la porte faute d’évolution.

  • Collectivité territoriale – La Nouvelle-Orléans post-Katrina : En 2005, l’ouragan Katrina dévaste la ville de La Nouvelle-Orléans aux États-Unis. La catastrophe n’est pas seulement naturelle, elle est aussi due à des digues qui cèdent et à une préparation défaillante. Bilan : 1800 morts, une ville inondée et exsangue. Mais regardons le cas sous l’angle de la résilience. Que s’est-il passé après ? Les autorités locales, avec l’aide fédérale, ont entrepris une reconstruction massive des infrastructures de protection. Plus de 14 milliards de dollars ont été investis pour renforcer le système de digues et de pompes autour de la ville​. Parallèlement, la population et la municipalité ont travaillé à améliorer les plans d’évacuation, la coordination des secours, et la culture du risque (davantage de gens souscrivent à des assurances inondation, par exemple). En 2021, un test majeur est survenu : l’ouragan Ida, aussi puissant que Katrina, frappe la Louisiane. Cette fois, les digues tiennent bon et la ville est beaucoup moins inondée qu’en 2005​. Les dégâts existent, mais sans commune mesure avec Katrina, et surtout très peu de pertes humaines en comparaison. C’est un exemple de résilience territoriale : apprendre de la catastrophe passée pour mieux encaisser la suivante. Outre les digues, la Nouvelle-Orléans a aussi mis l’accent sur des solutions dites “douces” de résilience : restauration de zones humides côtières pour atténuer les vagues de tempête, création de lieux de refuge communautaires, systèmes d’alertes améliorés, etc.​. La leçon : un territoire peut renaître d’un désastre en le transformant en catalyseur de changement positif. À condition d’investir, d’innover et de mobiliser la volonté politique et citoyenne. En France, on pourrait citer la ville de Nîmes, régulièrement frappée par des inondations (les fameuses “épisodes cévenols”) : après de lourds dégâts dans les années 1980-90, la ville a construit d’imposants bassins de rétention d’eau et canaux de déviation (le delta de Lunel, etc.), ce qui a drastiquement réduit l’impact des crues suivantes. Nîmes a aussi développé une culture du risque chez ses habitants. La résilience d’une collectivité se voit souvent à l’aune des crises suivantes : quand on constate une nette amélioration, c’est le signe que les bonnes décisions ont été prises post-événement.

  • ONG – Médecins Sans Frontières et l’épidémie d’Ebola 2014 : Les ONG humanitaires sont en première ligne de nombreuses crises (conflits, épidémies, catastrophes naturelles) et doivent elles-mêmes être résilientes pour continuer leurs missions dans le chaos. Prenons le cas de Médecins Sans Frontières (MSF) lors de la crise Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014-2016. MSF a été parmi les premiers à intervenir alors que l’épidémie explosait en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone. Très vite, l’ampleur est devenue sans précédent, submergeant les capacités initiales de l’ONG. Plutôt que de renoncer, MSF a fait preuve d’une extraordinaire résilience organisationnelle en montant en puissance de façon inédite. L’ONG a déployé 19 centres de traitement Ebola dans 6 pays, avec plus de 700 lits au total, et a admis plus de 10 000 patients (dont un tiers de tous les cas Ebola recensés au monde)​– du jamais vu pour MSF. Comment ont-ils réussi cela ? En improvisant et en innovant sur le terrain (par exemple, en formant rapidement des équipes locales entières aux protocoles Ebola, en créant des centres de transit communautaires pour isoler les malades en attendant de la place), en sollicitant l’aide internationale (MSF a publiquement interpellé l’ONU et les grandes puissances pour qu’elles envoient du renfort, faisant usage de son poids médiatique), et en gérant l’épuisement de leurs propres équipes (rotations, soutien psychologique, etc., car l’épidémie a duré plus de deux ans). MSF a dû affronter la perte de certains de ses personnels victimes du virus – ce qui est un traumatisme interne fort – et pourtant l’organisation a continué la mission, tout en adaptant sans cesse ses stratégies (nouvelles approches de sensibilisation communautaire, recherche de traitements expérimentaux). Au final, MSF est sortie de cette épreuve très éprouvée, mais avec une expérience renforçant sa résilience pour les crises futures. Elle a publié un rapport critique pour apprendre de ses propres manquements et de ceux de la communauté internationale. Ce cas illustre : l’importance de la culture du défi dans les ONG (ne pas abandonner même quand c’est hors proportion), la valeur de l’engagement humanitaire (les volontaires ont un sens tel à leur action qu’ils ont tenu bon dans des conditions terribles), et la nécessité de collaborations externes (aucune ONG, fut-elle MSF, ne peut tout faire seule dans une crise de cette ampleur). C’est aussi un exemple de résilience par l’apprentissage : MSF a beaucoup appris d’Ebola et a amélioré ses protocoles pour les épidémies suivantes (comme Ebola en RDC plus tard).

  • État – L’Islande face à l’effondrement financier de 2008 : Pour finir, examinons un État entier confronté à une crise majeure et comment il s’en est relevé. L’Islande offre un exemple instructif. En 2008, cette petite nation insulaire voit l’implosion de l’intégralité de son système bancaire, gonflé démesurément (les banques pesaient 10 fois le PIB du pays). En quelques jours, les trois principales banques font faillite, la monnaie s’écroule, le pays est en quasi-banqueroute. Plutôt que de s’enfoncer, l’Islande a pris des mesures radicales et a fait preuve d’une résilience économique et sociale étonnante. Les autorités ont laissé les banques faire faillite (sauvant seulement les dépôts domestiques), imposé des contrôles de capitaux pour stabiliser la monnaie, et lancé des réformes profondes. Le gouvernement a protégé autant que possible la population : maintien d’un filet social, aide aux ménages surendettés. Grâce à une cohésion sociale forte (les Islandais ont serré les coudes, il y a eu certes des manifestations – la “révolution des casseroles” – mais aussi une volonté commune de s’en sortir) et à des choix courageux, l’Islande a renoué avec la croissance en seulement trois ans. Dès 2011, la reprise était là, portée par un tourisme en plein boom et une industrie de la pêche résiliente. Des analystes ont noté que la reprise rapide de l’Islande tient à des « décisions politiques audacieuses, un système monétaire flexible, des réformes bancaires et une forte cohésion sociale »​. Au lieu de s’entêter dans un modèle financier mortifère, l’Islande a transformé son économie, misé sur ses atouts réels (pêche, aluminium, tourisme nature) et n’a pas sacrifié l’essentiel (bien-être de la population) au passage. C’est un cas de résilience nationale exemplaire, souvent cité dans les études économiques. Bien sûr, tout n’a pas été rose (le contrôle des changes a duré jusqu’en 2017, limitant certaines libertés économiques, et tout le monde n’a pas récupéré sa mise de départ) mais l’important est que le pays a évité la dépression longue qu’on aurait pu attendre. Comparativement, des pays comme la Grèce ou l’Irlande, touchés par des crises similaires, ont eu une décennie 2010 beaucoup plus douloureuse. La clé Islandaise : accepter la gravité de la crise (pas de déni), prendre des mesures drastiques rapidement, ne pas faire porter tout le poids au peuple (ils ont même organisé une enquête judiciaire et poursuivi certains banquiers responsables, histoire de rétablir la justice et la confiance), et capitaliser sur l’unité nationale dans l’épreuve. C’est un mélange de bonne gouvernance et de résilience culturelle (les Islandais ont une histoire de survie dans un environnement rude, ça forge le caractère dit-on).

Ces cas ne sont que quelques illustrations. On aurait pu également parler de la résilience du Japon face aux tremblements de terre (une culture de la préparation sismique poussée à l’extrême, ce qui a sauvé des vies lors de Fukushima en 2011 bien que la catastrophe nucléaire ait montré des failles), de la résilience des habitants de New York après le 11 septembre 2001 (retour au fonctionnement de la ville en quelques jours, et reconstruction symbolique avec la tour One World Trade Center), ou encore de la résilience des petites entreprises familiales qui traversent les générations en survivant à des guerres, des crises économiques, etc., en s’adaptant constamment (par ex, certaines maisons japonaises multi-séculaires). Dans chaque histoire de résilience, on retrouve nos éléments : la préparation qui a payé, l’adaptation astucieuse, le rebond vers quelque chose de nouveau, l’importance de leaders ou de communautés unies, le fait de tirer des enseignements pour l’avenir.

Méthodes et outils pour diagnostiquer et renforcer la résilience

Nous avons dressé un panorama large – peut-être vous demandez-vous maintenant : « Concrètement, par où commence-t-on pour évaluer et améliorer notre résilience ? » Bonne question. Il existe aujourd’hui de nombreuses méthodes et outils pour vous aider à diagnostiquer votre niveau de résilience et à le muscler dans le temps. Passons en revue quelques approches pratiques, applicables en particulier aux organisations (mais dont certaines valent aussi pour des individus ou des collectivités).

1. Évaluation de la résilience (diagnostic) : Avant de renforcer, il faut savoir où on en est. Cela peut se faire via des outils d’auto-diagnostic structurés. Par exemple, certaines sociétés proposent des grilles de maturité de résilience organisationnelle qui, à travers un questionnaire, évaluent sur une échelle où en est l’organisation sur différents piliers (leadership, préparation, culture, redondance, etc.)​. On peut citer le modèle de l’ISO 22316 (norme de résilience organisationnelle) ou des outils comme le Resilience Diagnostic du Resilience Institute (60 questions en ligne évaluant les facteurs de résilience)​. Ces évaluations pointent les points forts et faibles, un peu comme un bilan de santé. Par ailleurs, l’analyse de risque et de vulnérabilité reste un incontournable : identifiez vos processus critiques et testez mentalement (ou réellement) comment ils réagiraient à telle ou telle crise. On parle de stress-tests (emprunté à la finance) : par exemple, la Banque Centrale Européenne fait passer des stress-tests aux banques pour voir si elles survivraient à un krach hypothétique. Faites de même dans votre domaine : “Que se passe-t-il si notre fournisseur clé disparaît du jour au lendemain ? Si notre site principal brûle ? Si tel cadre dirigeant est indisponible ?”. Simuler le worst-case scenario permet de révéler des failles insoupçonnées. Certaines organisations organisent des exercices de crise grandeur nature (exemple : simulation d’attentat, d’incendie, de panne informatique géante) pour tester leur plan et leur résilience en conditions réelles. C’est très instructif (parfois un peu douloureux quand on voit tout ce qui coince). Enfin, une technique venue de la cyber-sécurité commence à se répandre : les équipes Red Team / Blue Team. Une “équipe rouge” joue les méchants et tente de mettre en défaut l’organisation (par une attaque fictive, une intrusion, etc.) tandis que l’“équipe bleue” défend. Cela peut s’adapter à d’autres crises (par ex, une équipe rouge “scénario pandémie” qui impose subitement des contraintes, et on voit comment l’entreprise réagit). En résumé sur le diagnostic : mesurez, testez, auditez. Il vaut mieux découvrir ses points faibles dans un exercice contrôlé que en plein jour de crise.

2. Renforcement de la résilience (actions) : Une fois qu’on sait où améliorer, place aux solutions. Reprenons nos grands leviers et voyons les outils pratiques associés.

  • Sur le plan humain : investissez dans la formation et la culture. Formez des leaders de crise (il existe des cursus ou stages spécialisés), faites des ateliers de sensibilisation pour tous les employés sur “comment réagir en cas de …”. Introduisez la culture du retour d’expérience dans l’ADN de l’organisation (après chaque incident ou projet, faites systématiquement un debriefing d’apprentissage, pas pour chercher des coupables mais des leçons). Mettez en place des programmes de bien-être et de soutien psy pour vos employés – ce n’est pas du luxe, c’est un gage qu’ils tiendront dans la durée et qu’ils se sentiront en sécurité pour donner le meilleur d’eux-mêmes. Encourager la cohésion d’équipe via du team-building ou des réseaux collaboratifs internes renforce le capital social dont vous aurez besoin dans la tempête.

  • Sur le plan structurel : élaborez des plans de crise solides (et concis, actionnables – pas des pavés de 200 pages qui prendront la poussière). Constituez une cellule de crise identifiée à l’avance, avec suppléants, et entraînez-la via des exercices régulièrement. Travaillez votre communication de crise : ayez des gabarits de communiqués prêts, un media-training pour les porte-parole, une stratégie réseaux sociaux pour répondre aux rumeurs. Côté ressources, investissez dans la redondance intelligente : doubles sources d’approvisionnement, systèmes d’information backup, fonds d’urgence. Créez éventuellement une équipe “tigre” (task force agile) qui peut être mobilisée en renfort sur n’importe quel problème urgent (par ex, chez Amazon ils ont une équipe d’ingénieurs volants pour les gros incidents techniques). Formalisez des accords de partenariat avec d’autres organisations pour l’entraide en cas de coup dur : par exemple deux hôpitaux qui se promettent de prendre en charge les patients de l’autre en cas d’afflux massif, ou des entreprises d’un même secteur qui mutualisent un stock de secours.

  • Sur le plan logistique et opérationnel : diversifiez votre supply chain (fournisseurs multiples, éventuellement locaux), définissez des stocks minimums critiques. Nommez des responsables “résilience” pour chaque département, chargés de remonter les risques et idées d’amélioration. Utilisez la technologie pour gagner en résilience : outils de monitoring en temps réel (capteurs IoT pour repérer une anomalie industrielle tôt, logiciels de détection de cyberattaques, etc.), systèmes de communication de crise (il existe des plateformes pour envoyer des alertes SMS à tout le personnel en un clic, etc.). Entraînez vos systèmes autant que vos gens : testez vos backups informatiques en faisant des restaurations pour vérifier qu’elles fonctionnent, etc.

  • Sur le plan stratégique : incluez la résilience dans vos indicateurs de performance. Par exemple, suivez un indicateur de taux de couverture des risques majeurs, ou intégrez dans les objectifs annuels des dirigeants un volet “amélioration de la résilience” (ainsi ils lui accorderont l’attention nécessaire). La gouvernance doit aussi s’adapter : envisager de créer un comité résilience au sein du conseil d’administration ou de la direction, qui se réunit périodiquement pour évaluer les risques émergents et le niveau de préparation. Certaines entreprises vont jusqu’à nommer un Chief Resilience Officer (CRO), surtout dans les collectivités (plusieurs grandes villes mondiales l’ont fait dans le cadre de l’initiative 100 Resilient Cities). C’est une personne dont le rôle est de penser l’improbable et de préparer l’organisation à l’impensable.

  • Amélioration continue : La résilience, ce n’est pas un projet qu’on boucle puis qu’on oublie, c’est un processus continu. Inscrivez dans le marbre un cycle de revue régulière de vos plans et dispositifs. Par exemple, chaque année ou tous les deux ans, faites un audit rapide de vos plans de crise pour les mettre à jour (les contacts changent, les contextes évoluent). Après chaque vraie crise traversée, faites un retour d’expérience formalisé, partagez-le largement (y compris avec l’extérieur si possible, afin que d’autres apprennent aussi – c’est un service à la communauté). Adoptez une posture de “résilience proactive” : au lieu d’attendre la prochaine crise pour tester, cherchez à anticiper les tendances lourdes (climat, évolutions géopolitiques, disruptions technologiques) et à vous y préparer. On voit apparaître des outils de forecasting participatif, de scénarisation prospective (type “war games” géopolitiques ou exercices de simulation global), n’hésitez pas à les utiliser pour explorer vos failles dans des futurs possibles.

Pour finir sur une note pratique, retenez cette approche en trois questions pour renforcer la résilience : 1) “Qu’est-ce qui pourrait nous anéantir ?” – listez vos cauchemars, ainsi vous brisez le déni. 2) “Sommes-nous prêts si ça arrive demain ?” – testez, simulez, évaluez vos parades actuelles. 3) “Que faire dès maintenant pour mieux encaisser ?” – mettez en œuvre des améliorations ciblées (formation, redondance, processus, etc.). Répétez régulièrement. C’est une sorte de gymnastique de l’inattendu. Au début ça fait un peu peur (on réalise tout ce qui pourrait aller mal), mais ensuite ça rassure (on se sait mieux armé) et ça devient même un état d’esprit positif, celui du “prêt à tout”.

En conclusion, la résilience face à la crise n’est pas un slogan creux, c’est une réalité concrète, fruit d’efforts constants avant, pendant et après les épreuves. C’est adopter une posture lucide (voir les menaces en face sans se voiler la face), adaptative (bouger vite et bien quand le sol tremble), apprenante (chaque coup dur rend plus fort au lieu d’aigrir), et persévérante (tenir dans la durée en prenant soin de l’humain). C’est mobiliser toutes les ressources – du mental individuel aux réseaux inter-organisationnels – pour non seulement survivre, mais ressortir grandis des crises.

Le ton “cash” de ce billet avait pour but de vous faire toucher du doigt les dures vérités de la gestion de crise. Oui, les crises arrivent, oui elles font mal, mais vous avez désormais en main les clés pour y faire face avec courage et efficacité. À vous de jouer : ne soyez ni paniqués, ni paralysés, soyez préparés et proactifs. La résilience n’est pas qu’un concept académique, c’est un mode de fonctionnement qui sauve des entreprises, des vies et des communautés entières. Adoptez-le dès aujourd’hui.

Enfin, n’oubliez pas que la résilience est souvent une aventure collective. Aucune personne seule, aucun service isolé, ne peut porter toute la charge. C’est ensemble, soudés, que l’on surmonte le pire. En cultivant la résilience en vous et autour de vous, vous devenez un atout inestimable dans n’importe quelle crise.

Préparez-vous au pire, espérez le meilleur, et quoi qu’il arrive : rebondissez plus haut. C’est tout le mal que je vous souhaite.