AccueilFAQCensure, sexisme et effet Streisand : la stratégie d’Arthur sous le feu des critiques

Censure, sexisme et effet Streisand : la stratégie d’Arthur sous le feu des critiques

arthur vidéo sexiste

Vouloir étouffer une controverse, c’est parfois l’amplifier. L’animateur Arthur (de son vrai nom Jacques Essebag)– figure bien connue de la télévision française – vient d’en faire l’amère expérience. Accusé via une vidéo virale de comportements sexistes dans son ancienne émission À prendre ou à laisser, il a tenté de faire supprimer ces images compromettantes. Résultat : il a déclenché un effet Streisand retentissant, transformant une polémique circonscrite aux réseaux sociaux en un véritable débat médiatique national. Retour sur une gestion de crise maladroite, depuis la censure ratée jusqu’à la communication contestable de son avocate, et analyse des leçons à en tirer.

Qu’est-ce que l’effet Streisand ?

L’effet Streisand désigne un phénomène médiatique involontaire : il se produit lorsque, en cherchant à empêcher la divulgation d’une information que l’on voudrait cacher, on obtient l’effet inverse – à savoir une attention médiatique redoublée sur ladite information​. Autrement dit, plus on cherche à supprimer un contenu gênant, plus on risque de le rendre visible​. Ce phénomène, nommé d’après la chanteuse Barbra Streisand qui avait vainement tenté en 2003 de faire retirer des photos de sa propriété, est souvent renforcé par la viralité d’Internet et des réseaux sociaux. Dans le cas d’Arthur, tous les ingrédients étaient réunis pour que la tentative de censure tourne au fiasco communicatif.

La vidéo polémique qu’Arthur voulait faire disparaître

Fin décembre, une vidéo de quatre minutes surgit sur les réseaux sociaux, compilant de vieux extraits de l’émission À prendre ou à laisser (TF1, 2004-2006) animée par Arthur​. On y voit une succession de séquences aujourd’hui très choquantes : Arthur qui embrasse par surprise une candidate en lui tenant le visage, Arthur qui regarde sous la jupe d’une participante, qui grogne à l’oreille d’une autre malgré ses protestations, ou encore qui simule un fouet sur les fesses d’une candidate en lançant « plus tu résistes, plus je te dompterai », avant de lui embrasser le cou et d’ajouter « j’ai toujours aimé les femmes qui me résistaient »​. Ces comportements, considérés comme sexistes, graveleux voire assimilables à du harcèlement sexuel, ont suscité l’indignation des internautes. Beaucoup se sont demandé comment de telles scènes avaient pu passer à la télévision il y a quelques années encore.

La vidéo, postée initialement par une militante féministe sur Instagram, a rapidement fait le tour de Twitter (X), TikTok et consorts. Partagée par de nombreux comptes populaires, elle a atteint un public massif en quelques jours. Même la presse traditionnelle s’en est fait l’écho – Le Huffington Post entre autres a relayé l’affaire​. Face à cette propagation incontrôlée d’archives gênantes, Arthur a choisi une stratégie musclée : faire appel à ses avocats pour faire retirer la vidéo de toutes les plateformes où elle apparaîtrait.

Tentative de censure : le bad buzz explose

Dès que la vidéo a commencé à buzzer, l’animateur et son équipe sont passés à l’offensive pour la faire disparaître du web. Sur les réseaux sociaux, plusieurs comptes ayant diffusé les extraits ont signalé que leurs publications avaient été supprimées suite à des signalements juridiques – demandes de retrait qui auraient été signées par Arthur en personne​. En clair, l’animateur cherchait activement à censurer tout extrait dérangeant susceptible de nuire à son image. Des créateurs de contenu très suivis sur Twitter (X) l’ont publiquement dénoncé : « L’animateur semble faire censurer tout extrait dérangeant susceptible de nuire à son image », s’indigne l’un, capture d’écran d’e-mail à l’appui​. Preuve à l’appui, un compte affirme : « Arthur et son équipe […] nous ont envoyé un e-mail avant de supprimer notre tweet »​. Cette riposte agressive d’Arthur a immédiatement déclenché l’effet Streisand tant redouté.

En réaction aux tentatives de censure, la résistance s’est organisée en ligne. Plutôt que de décourager le partage de la vidéo, l’offensive juridique d’Arthur a motivé un collectif d’internautes – une vingtaine de militants et de comptes influents – à la reposter en chœur pour déjouer la censure​. L’opération, lancée le 30 décembre à 14h à l’initiative de la page activiste Cerveaux Non Disponibles, invite chacun à télécharger le montage incriminé et à le publier massivement: « Arthur cherche à faire censurer cette vidéo. Téléchargez-la et postez-la en natif sur votre compte »​. L’appel a été entendu bruyamment : en l’espace de quelques heures, la vidéo re-postée collectivement engrange des dizaines de milliers de « likes » et de vues supplémentaires​. Le phénomène prend une telle ampleur que beaucoup y voient une démonstration éclatante de l’effet Streisand, où chaque effort de censure ne fait qu’accroître la viralité du contenu visé​.

Très vite, l’affaire dépasse le cadre des réseaux militants pour devenir un sujet national. La vidéo, désormais impossible à éradiquer, cumule plusieurs millions de vues au total​. Elle rallume du même coup les critiques contre Arthur pour ses comportements déplacés de l’époque, malgré les explications qu’il a commencées à fournir dans la presse​. Ironie du sort, cette polémique enfle juste au moment où TF1 diffusait un documentaire célébrant les 30 ans de carrière de l’animateur – un contraste saisissant qui a piqué la curiosité des médias. La tentative d’étouffer le scandale a donc eu l’effet inverse : un emballement médiatique sans commune mesure avec l’ampleur initiale du sujet.

Une communication juridique maladroite et contre-productive

En parallèle de la censure technique, la défense d’Arthur s’est exprimée publiquement par la voix de son avocate, Me Jade Dousselin. Celle-ci a pris la parole pour dénoncer le « cyberharcèlement calomnieux » dont son client ferait l’objet, parlant d’une campagne organisée visant à porter atteinte à l’image et à la sécurité d’Arthur​. En clair, le camp d’Arthur a cherché à inverser les rôles en le présentant comme la victime d’un déferlement injuste en ligne. S’il est avéré que l’animateur a reçu de nombreux messages haineux, notamment antisémites, suite à la diffusion de la vidéo – ce qui a conduit au dépôt d’une plainte pour injures publiques aggravées – cette posture défensive est apparue mal calibrée face au problème initial. En focalisant la communication sur le harcèlement subi par Arthur, son avocate a donné l’impression de détourner l’attention des faits reprochés (les séquences sexistes) sans apporter de réponse sur le fond.

De plus, la manière de communiquer de Me Jade Dousselin a soulevé des critiques quant à son opportunité. Son intervention médiatique très visible – via une déclaration à l’AFP reprise largement par la presse – a eu pour effet paradoxal de mettre en lumière son propre cabinet d’avocats bien plus que de servir les intérêts d’image de son client. Sa citation a été reproduite mot pour mot dans de nombreux articles et posts sur les réseaux sociaux​, son nom étant cité partout aux côtés de celui d’Arthur. Ce faisant, au lieu d’apaiser la controverse autour d’une vidéo que son client voulait voir disparaitre, cette communication a ajouté une couche supplémentaire à l’affaire : on en est venu à commenter la stratégie de l’avocate autant que le fond du dossier. Un comble, puisque cette surexposition du volet juridique a en partie éclipsé le message que l’équipe d’Arthur aurait dû porter : explications, regrets éventuels ou mea culpa de l’animateur. En somme, ce volet « communication de crise » géré par l’avocate est apparu maladroit et contre-productif, donnant le sentiment d’un couac stratégique supplémentaire.

Des erreurs stratégiques à répétition

La gestion de cette crise par Arthur et son entourage cumule plusieurs faux pas majeurs. Parmi les erreurs stratégiques les plus criantes, on peut relever :

  • Croire à tort qu’on peut faire disparaître un contenu viral : En mobilisant une « armée d’avocats » pour supprimer la vidéo sur Internet, Arthur a ignoré la dynamique propre aux réseaux sociaux. Tenter de censurer une information déjà publique ne fait souvent que la propager davantage – ce que l’effet Streisand illustre parfaitement dans ce cas​. En 2024, il est illusoire de penser qu’un montage reposté en masse par des internautes pourrait être éradiqué du web par de simples notifications légales.

  • Sous-estimer la réaction du public et des médias : Arthur semble ne pas avoir anticipé que sa tentative de nettoyage susciterait une telle solidarité en ligne contre la censure. Il a également négligé le fait qu’en s’attaquant à la diffusion de la vidéo, il donnait une nouvelle angle journalistique à l’histoire (celui de la censure), incitant les grands médias à s’y intéresser davantage. Ce manque de lucidité a abouti à un effet de loupe dramatique sur des images qui seraient peut-être restées relativement confidentielles sans cela.

  • Ne pas adresser le fond des accusations immédiatement : Dans un premier temps, la réponse d’Arthur s’est faite uniquement par le biais légal et du démenti implicite, sans prise de parole personnelle forte sur le contenu de la vidéo. Ce n’est qu’après coup, face à l’ampleur du tollé, qu’il a livré une explication dans Le Parisien, évoquant « une autre époque » pour contextualiser son comportement à l’époque​. Mais cette justification est apparue faible – elle sonnait comme une excuse générationnelle plutôt qu’une remise en question personnelle. L’absence d’excuses claires ou de regrets exprimés dès le départ a laissé un vide, rempli par l’indignation du public.

  • Laisser l’avocate occuper le devant de la scène médiatique pour faire la promotion d’une vidéo à invisibiliser : Autre erreur, Arthur a délégué l’entièreté de la contre-offensive médiatique à son avocate, au risque d’envoyer un message inadapté. Le discours juridique, focalisé sur la notion de calomnie et de harcèlement en ligne, n’a pas satisfait l’opinion publique sur ce qu’elle voulait entendre – à savoir une explication franche ou des regrets concernant les actes montrés dans la vidéo. En outre, cette stratégie a donné l’image d’une star retranchée derrière ses avocats, plutôt que celle d’une personnalité responsable et consciente de l’émoi légitime provoqué par ses actions passées.

En somme, Arthur et son équipe de crise ont péché par mauvaise évaluation de la situation. Chaque décision – du choix de la censure à la nature de la communication de crise – a alimenté la machine médiatique au lieu de la calmer. Ces faux pas successifs ont amplifié les conséquences négatives sur l’image publique de l’animateur.

Conséquences pour l’image d’Arthur

Du fait de ces erreurs, Arthur voit aujourd’hui son image sévèrement ternie par cette affaire. Ce qui n’était qu’un montage d’archives anciennes s’est transformé en scandale d’actualité. La vidéo compilant ses dérapages sexistes a été vue par des millions d’internautes​ et a ravivé de vives critiques à son égard, malgré ses tentatives de justification​. Désormais, des séquences que beaucoup avaient oubliées (ou n’avaient jamais vues) sont connues du grand public, associant le nom d’Arthur à des comportements déplacés voire humiliants envers des femmes.

L’animateur, autrefois perçu comme un pilier du divertissement familial, se retrouve accusé d’avoir cautionné un sexisme banalisé à la télévision des années 2000. Sa défense maladroite – invoquer l’époque pour minimiser les faits – a été peu convaincante et a pu donner l’impression qu’il ne mesurait pas pleinement la gravité de ses actes. Beaucoup ont attendu de lui des excuses explicites ou un signe d’empathie envers les victimes potentielles de ces attitudes; en vain. À la place, Arthur est apparu préoccupé avant tout par la protection de sa réputation, ce qui renforce l’opinion d’un manque de remise en question.

En outre, le choix de la confrontation (par voie légale) plutôt que du dialogue a pu entamer la confiance du public. Dans une ère post-#MeToo où l’on attend des personnalités publiques qu’elles reconnaissent leurs torts et évoluent, l’attitude d’Arthur fait figure de contre-exemple. Sur les réseaux sociaux, les appels à boycotter ses émissions ou à obtenir des explications sincères se sont multipliés. Même s’il n’y aura sans doute pas de conséquences judiciaires directes pour des faits prescrits et tolérés à l’époque, le tribunal de l’opinion publique, lui, a rendu son verdict : la cote de popularité d’Arthur a pris un sérieux coup. L’animateur devra déployer beaucoup d’efforts pour regagner la confiance et redorer son blason – s’il y parvient.

Leçons à tirer : comment éviter le piège de l’effet Streisand

Cette débâcle offre des enseignements précieux en matière de communication de crise. Que l’on soit une personnalité publique ou une entreprise, la mésaventure d’Arthur illustre ce qu’il ne faut pas faire lorsque des informations négatives circulent en ligne. Voici quelques leçons à retenir pour ne pas tomber dans le piège de l’effet Streisand :

  • Accepter qu’on ne contrôle pas internet : Mal conseillée, la première erreur d’Arthur a été de croire qu’une action judiciaire pourrait “effacer” une vidéo déjà largement partagée. Il est crucial de comprendre qu’une fois l’information divulguée sur le web, tenter de la supprimer par la force est souvent vain et contre-productif. Mieux vaut gérer la crise avec l’existence du contenu gênant, plutôt que d’alimenter sa diffusion en cherchant à le censurer.

  • Ne pas nier l’évidence et jouer la transparence : Plutôt que de chercher à faire taire la polémique internet, il est souvent préférable de l’affronter franchement et même avec humour. Dans le cas d’Arthur, reconnaître immédiatement que certaines images de ses émissions passées peuvent choquer, et exprimer son regret sincère, aurait pu désamorcer en partie la colère. En communication de crise, la transparence et l’humilité payent plus que le déni ou le silence forcé.

  • Prendre la parole soi-même, avec empathie : Se retrancher derrière des communiqués juridiques ou des avocats dont l’action juridique n’a aucune chance d’aboutir, n’est pas la bonne approche pour renouer avec l’opinion publique. Il est généralement attendu qu’un individu mis en cause s’exprime en son nom, avec empathie et explications à l’appui. Un message vidéo ou un post d’Arthur assumant la responsabilité de ces vieux dérapages, expliquant le contexte et affirmant que ces attitudes sont aujourd’hui inacceptables, aurait probablement mieux servi ses intérêts que la voie judiciaire.

  • Éviter la posture victimaire hors de propos : Se poser en victime d’une cabale en ligne peut facilement être perçu comme une diversion si, à la base, on est mis en cause pour un tort avéré. Dans le cas présent, mettre en avant le cyberharcèlement subit par Arthur – bien que réel et condamnable en soi – n’a pas répondu aux préoccupations légitimes soulevées par la vidéo. En communication de crise, il faut d’abord adresser le cœur du problème (ici, les comportements sexistes montrés) avant d’évoquer d’autres torts subis, au risque sinon de passer pour quelqu’un qui esquive ses responsabilités.

  • Anticiper l’effet Streisand : Toute tentative de censure ayant de fortes chances d’être ébruitée, il convient d’en peser le pour et le contre avec soin. Parfois, laisser une information suivre son cours (tout en la commentant de manière maîtrisée) cause moins de dégâts que de la combattre frontalement. Avant d’agir, il faut mesurer l’impact potentiel qu’aura l’action entreprise sur la diffusion de l’information. Dans le doute, privilégier des solutions de communication (droit de réponse, explication, contextualisation) plutôt que judiciaires peut éviter d’enflammer la situation.

En définitive, la mauvaise gestion de crise de cette affaire par Arthur rappelle que la communication de crise doit être guidée par la transparence, la responsabilisation et la mesure. Chercher à faire disparaître une vérité qui dérange revient souvent à lui donner un mégaphone. À l’heure des réseaux sociaux tout-puissants, vouloir censurer un contenu polémique, c’est risquer de le voir devenir viral. Arthur a illustré bien malgré lui ce paradoxe de l’effet Streisand​. Gageons que cette leçon servira à d’autres : en temps de crise, mieux vaut affronter la réalité, aussi désagréable soit-elle, que de jouer à cache-cache avec l’info au risque de la voir vous échapper complètement.